Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/292

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prendre de l’humeur, de me dire que j’avais peu d’amour ; & vous devinez combien tout cela me touchait ! Mais voulant frapper le coup décisif, j’appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez. Cet empire qu’il se crut sur moi, & l’espoir qu’il en conçut de me perdre à son gré, lui tinrent lieu de tout l’amour d’Orosmane.

Ce coup de théâtre passé, nous revînmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupâmes de la nuit : mais mon suisse devenait un obstacle insurmontable, & je ne permettais pas qu’on essayât de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin : mais je l’avais prévu ; & j’y créai un chien qui, tranquille & silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j’entrai dans tous ces détails était bien propre à l’enhardir ; aussi vint-il à me proposer l’expédient le plus ridicule, & ce fut celui que j’acceptai.

D’abord, son domestique était sûr comme lui-même : en cela il ne trompait guère, l’un l’était bien autant que l’autre. J’aurais un grand souper chez moi ; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L’adroit confident appellerait la voiture ; ouvrirait la portière ; & lui Prévan, au lieu de monter, s’esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s’en apercevoir en aucune façon ; ainsi sorti pour tout le monde, & cependant resté chez moi, il s’agissait de savoir s’il pourrait parvenir à mon appartement.