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LES LIAISONS

un retour heureux lui rendrait l’estime des gens honnêtes. Mais Valmont n’est pas cela : sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu’un homme peut se permettre d’horreurs sans se compromettre, & pour être cruel & méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites : mais combien n’en a-t-il pas perdues !

Dans la vie sage & retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu’à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir ; mais vos regards, purs comme votre âme, seraient souillés par de semblables tableaux : sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n’avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j’ai à vous dire, c’est que de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succès ou non, il n’en est point qui n’aient eu à s’en plaindre. La seule marquise de Merteuil fait exception à cette règle générale ; seule elle a su lui résister & enchaîner sa méchanceté. J’avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d’honneur à mes yeux : aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement, aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu’on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage[1].

Quoi qu’il en soit, ma belle amie, ce que l’âge,

  1. L’erreur où est madame de Volanges nous fait voir qu’ainsi que les autres scélérats, Valmont ne décelait pas ses complices.