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CHAP. X. — LES CICÉRONIENS

Cicéron comme il convenait, se refusait à lui vouer un culte divin. Aussi le traitèrent-ils en hérétique, ils lui donnèrent le surnom de Porrophagus à cause du fréquent usage qu’il faisait du mot Porro, ils l’accusèrent de voler ses traductions et de se tromper dans ses corrections. Le Ciceronianus devait venger Érasme de ces attaques et écraser, une fois pour toutes, la sottise des cicéroniens ; après l’Encomium Moriæ cette satire est peut-être le plus spirituel et le plus amusant de ses ouvrages ; elle est écrite, comme Gibbon l’a fait remarquer, avec cet humour exquis dont les Lettres Provinciales nous offrent un si heureux spécimen. Le Ciceronianus est composé en forme de dialogue : nous y voyons Nosoponus, le cicéronien, ainsi que Bulephorus et Hypologus qui font mine d’abonder dans le sens du premier et d’accepter absolument toutes ses idées absurdes, ils réussissent à la longue à donner à son esprit un peu plus d’équilibre. Nosoponus raconte qu’il s’est défait de sa bibliothèque et que depuis sept ans il ne lit plus que Cicéron, il dit qu’il a dressé une table alphabétique de tous les mots de Cicéron, une autre de toutes ses expressions et de toutes ses formes, une troisième de tous les pieds dont il s’est servi au commencement, au milieu et à la fin de ses phrases, et enfin qu’il a noté tous les mots que Cicéron n’emploie qu’au singulier et tous ceux qu’il n’emploie qu’au pluriel. Le véritable cicéronien, dit-il, ne doit pas seulement ne choisir aucun mot qui ne se trouve pas dans Cicéron, mais encore aucune flexion, aucune partie de mot ; par exemple : si Cicéron emploie Amo et pas Amamus, la première forme seule est permise ; 1 qu’il veut composer une épître à un ami, il doit relire attentivement les lettres de Cicéron, pour chacune de ses phrases ; il doit tout d’abord prendre les mots et les parties du discours et enfin les expressions et les figures de rhétorique qui se rencontrent dans les Épistolæ du Maitre. C’est ainsi qu’il passera toute une nuit à écrire une seule phrase, et cette phrase devra encore être revue avec soin et refondue plusieurs