Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/24

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parmi les hommes, ne sont que les manifestations passagères et locales d’un besoin unanime et constant de l’humanité, il s’efforça de relier aux conceptions des philosophes les croyances du vulgaire ; et en épurant, en expliquant celles-ci, en donnant un caractère religieux à celles-là, de les fondre dans une harmonieuse unité, afin de remplacer le vieux paganisme avili et croulant par un polythéisme nouveau, spiritualisé, ennobli, tel qu’il pût à la fois être accepté des esprits d’élite et devenir la religion universelle des peuples. En même temps qu’il écartait de la théologie païenne les idées trop basses au su jet des dieux, et qu’il présentait les fables des Grecs comme d’ingénieuses allégories, sous lesquelles il fallait chercher la science primitive du genre humain, il s’appliquait à découvrir, à mettre en lumière les vérités ensevelies, dans les traditions antiques, sous une masse d’erreurs, et à relever le culte des idoles, en donnant à ses actes divers un sens moral, propre à porter les âmes à la vertu. Et comme c’était la puissance du Christianisme, attestée par sa rapide propagation, qui le frappait sur tout, il n’hésitait pas, tout en l’attaquant avec force, tout en professant pour lui un insolent dédain, à puiser dans ses livres, à copier ses rites, à verser, au milieu des idées philosophiques et des pratiques polythéistes, tout ce qu’il pouvait d’aspirations et de formules chrétiennes, ne prétendant à rien moins qu’à ressusciter le paganisme à l’aide de l’Évangile, l’erreur par la vérité. Il eut donc, lui aussi, ses saints, ses miracles, ses prophètes, ses codes sacrés, ses abstinences pieuses, sa trinité divine, ses médiateurs invisibles entre l’Être souverain et nous, occupés à lui porter nos hommages, à nous rapporter ses bienfaits, à protéger et guider l’homme de bien dans sa route ici-bas. Il repoussa les sacrifices sanglants, expliqua le culte des images, parla, comme les chrétiens, des ravages du péché, du détachement des sens, de la purification des âmes déchues, du mérite des souffrances et de la prière, de la confiance avec laquelle nous devons nous tourner vers Dieu, comme vers un père, et lui faire de notre vie un holocauste spirituel.

Cet éclectisme mystico-panthéiste, peu goûté des foules, devait plaire à ces esprits incertains, qui, sentant très-bien le vide et l’absurdité du polythéisme, y tenaient cependant par leurs habitudes littéraires et par le fond de leur vie ; et, en effet, il eut parmi eux un grand succès. L’idolâtrie, une fois purgée de ses vues grossières et comme transfigurée par la philosophie, il leur sembla qu’il n’y avait plus entre le culte des dieux et le Christianisme aucune opposition radicale, et qu’il était facile à l’homme de bien de concilier les tendances morales de l’un avec les pratiques de l’autre. Ils admiraient l’Évangile, comme respirant dans tous ses préceptes la mansuétude et l’équité ; louaient les martyrs, ces victimes de leur constance religieuse, qui, plutôt que d’abjurer leur foi, avaient souffert héroïquement les derniers supplices[1] ; rendaient hommage à ces pontifes chrétiens, que la frugalité, la modestie, leurs mœurs austères et pures recommandaient à la Divinité et à ses vrais adorateurs[2] ; mais en même temps ils attribuaient aux astres la nature et la vie divines ; croyaient aux auspices, aux augures, aux oracles ; soutenaient la divination par le vol des oiseaux et les entrailles des victimes ; cultivaient la magie comme la plus haute des sciences, et la théurgie, comme l’art merveilleux de gagner, de dominer les dieux inférieurs attachés à la matière, et d’opérer, avec leur secours, des œuvres surnaturelles.

Sans doute, parmi les adeptes de ce poly théisme savant, plusieurs ne pouvant se contenter d’opinions si incertaines, et sentant plus vivement, au fond de leur cœur, le besoin d’une rédemption divine, ne traversèrent le Platonisme que pour arriver à l’Église. Mais, somme toute, et à part de belles et trop rares exceptions, ce mysticisme philosophique était plus nuisible que favorable aux progrès de la vérité.

S’il était pour quelques-uns la préparation à la foi et comme le vestibule de l’Évangile, il en retenait un plus grand nombre dans une indifférence funeste, par rapport à leur destinée éternelle. Satisfaits de cette prétendue conciliation, entre les droits de la conscience et les habitudes polythéistes mêlées de longue date a toutes leurs pensées comme à tous leurs sentiments, ils s’en tenaient là, et se croyaient dispensés de faire un pas de plus pour s’approcher du vrai Dieu, forme épurée du polythéisme leur apparaissait, comme la plus admirable synthèse de tout ce qui était bon et vrai dans tous les autres cultes, y compris celui des chrétiens. La sagesse humaine ne pouvait s’élever plus haut. Leur orgueil, d’ailleurs, se complaisait dans cette pensée, que, successeurs du divin Platon, suprêmes héritiers des grandes écoles philosophiques,

  1. Am. Mar., 1. 22, c. 11.
  2. Id., I. 27, c. 3.