Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ils étaient aussi l’appui le plus honorable et le plus fidèle d’un système religieux, auquel se rattachaient toutes les gloires de l’empire et des lettres ; et tiers de leur petit nombre, ils eussent rougi de partager avec la multitude le nom de chrétiens[1]. Avec empressement, ils se groupèrent autour de Julien, espérant de la force ce qu’ils n’attendaient pas de la science, et applaudissant de tout leur cœur à sa tentative impuissante, mais furieuse, de restauration païenne.

Ainsi, cette étrange et tardive coalition entre la philosophie et le polythéisme, sans sauver celui-ci, se dressait comme un nouvel obstacle devant l’Évangile, devenait le dernier point d’appui des résistances qu’il avait à vaincre, le dernier prétexte des intelligences pour se sous traire à la foi, et entraînait à de nouveaux com bats les docteurs, les pères de l’Église, obligés de faire tête à la fois aux préjugés du peuple et aux prétentions des philosophes, à l’ignorance et à la science, au vice et à la sagesse, et à pour suivre l’erreur sous les mille déguisements qu’elle aimait à revêtir, pour surprendre les âmes et usurper les droits de la vérité.

Mais déjà de plus aventureux penseurs avaient essayé d’un syncrétisme autrement vaste et hardi ; et, avec matériaux empruntés à toutes les doctrines et à tous les sanctuaires, à l’Inde et à la Perse, à la Chaldée et à l’Egypte, à Moïse et à Pythagore, à la Kabale et à l’Évangile, ils avaient élevé en face de l’Église, à ses portes mêmes, les sombres et bizarres constructions de la Gnose. La nouveauté étrange et fantastique de ses enseignements ; le grandiose et le merveilleux, mêlés partout à l’absurde ; l’obscurité même et la mystérieuse horreur de ces labyrinthes sans issue ; ce vertige des esprits quand ils se penchent sur l’abîme qu’ils veulent sonder des et qui les attire ; la prétention d’avoir arraché à la nature tous ses secrets et de résoudre souverainement tous les problèmes qui tourmentent l’esprit humain ; les formes imposantes et les noms chrétiens dont il se couvrait ; la manière de propager ses erreurs au moyen de commentaires sur les livres saints dont il disait avoir seul la clef, posséder seul le sens allégorique et spirituel caché sous l’écorce des mots et des faits, et inaccessible au vulgaire ; le soin des maîtres de se donner pour les vrais disciples de Jésus-Christ, les vrais héritiers de sa pensée intime, de sa doctrine secrète, apanage exclusif des natures supérieures ; le mépris dogmatique et solennel de la matière et des sens, motif d’austérité pour les uns, justifiant aux yeux des autres tous les désordres, et faisant de l’immoralité la condition de la dignité de l’homme et de son salut, attirèrent au Gnosticisme d’innombrables prosélytes, et firent de lui, pendant bien des années, l’adversaire le plus dangereux et le plus puissant de la vérité. Il tombait à peine que Manès parut, et tenta un nouvel et suprême effort pour opérer la fusion impossible entre l’Evangile et les religions naturelles de l’Orient. Lui aussi, il prétendit épurer le Christianisme, le dégager de l’alliage qu’il avait subi, lui donner le développement dont il était susceptible. Au fond, il cherchait à l’absorber dans une masse informe de spéculations tirées de toutes les philosophies et de tous les mythes ; et c’était dans le but unique de s’ouvrir un accès facile auprès des chrétiens qu’il prit le titre d’apôtre du Christ, et voulut mettre une espèce d’étiquette chrétienne à je ne sais quel mélange de panthéisme et de dualisme d’une part, de stoïcisme et de quiétisme de l’autre. Malgré l’absurdité évidente de ses enseignements, le Manichéisme était calculé avec un art profond pour séduire les uns par une apparence de haute sévérité, les autres en consacrant la liberté et la sainteté des passions, un grand nombre en calomniant l’Église et se posant à leurs yeux comme la société des vrais croyants. Aussi, lorsque vers la fin du m » siècle, il fut violemment comprimé, il avait déjà fait beaucoup de mal et poussé des racines profondes. On le força à se cacher ; on ne put l’anéantir. Il devint une secte secrète, travailla sous terre, avança clandestinement, et, tout en s’apprêtant à faire plus tard une grande explosion, il ne cessa, pendant plus de cent ans, de fatiguer l’Église par ses sourdes hostilités et de lui disputer les âmes.

Et cependant, à côté de ces vastes systèmes d’erreurs dressant leur masse formidable devant l’orthodoxie catholique, d’autres, moins audacieux en apparence, non moins funestes en réalité, avaient surgi dans le sein même de l’Église, et, sous prétexte d’expliquer ses dogmes, d’en propager la foi, travaillaient ardemment à les ruiner. Il faut qu’il y ait des hérésies, avait dit le grand Apôtre[2]. Cette, épreuve de la vérité ne manqua jamais au Catholicisme. Du jour où il ouvrit la bouche pour parler au monde, il eut contre lui, outre les adversaires naturels de toute doctrine élevée et

  1. Saint Augustin, de Civit. Dei, 1. 13, c. 16.
  2. ad Corinth. c. 11, v. 19