Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/26

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sainte, outre la routine, la politique, l’incrédulité, la superstition, le sensualisme, une foule d’ennemis dans ses propres disciples, et parmi ceux-là mêmes, que par une consécration spéciale, il avait destinés à être les gardiens incorruptibles et les propagateurs de ses enseignements ; ennemis d’autant plus dangereux que le zèle de la vérité semblait être leur seul mobile, et qu’ils prétendaient servir l’Église en la déclarant. L’esprit humain est ainsi fait que même en se donnant il se réserve, et qu’en paraissant obéir et s’incliner sous l’autorité de la foi, il marchande l’obéissance, et ne veut recevoir que de lui-même la règle et l’objet de sa foi. Parmi les hommes de spéculation et d’étude, que la beauté doctrinale du Christianisme avait frappés, plusieurs se bornèrent à prendre dans cette grande moisson de l’Évangile, pour verser dans la philosophie, et par cette riche adjonction la rajeunir, lui donner une autorité, une vie nouvelles. Leur but était de rendre la philosophie chrétienne. D’autres, plus puissamment attirés et entrés plus avant dans le Christianisme, voulurent y faire entrer la philosophie avec eux, rattacher les conceptions de celle-ci aux enseignements de l’Évangile, ou plutôt plier l’Évangile aux conceptions de la philosophie et se faire ainsi un christianisme philosophique. Et parce que la hauteur des mystères les déconcertait, ils se mirent à les abaisser à la portée de leur raison, à les interpréter selon les données de leur science, à les accommoder aux idées païennes, platoniques ou autres dont ils étaient imbus, à les manier, à les façonner à leur gré, c’est-à-dire que, sous prétexte de les rendre intelligibles, ils travaillèrent à les anéantir.

L’Église, obligée de faire son chemin en présence des glaives levés sur sa tête et des passions acharnées à sa perte, eut plus à craindre des témérités de ses propres disciples que de la haine ouverte de ses persécuteurs. Des esprits obstinés et vains, épris d’eux-mêmes, s’avisèrent de formuler le dogme à leur guise, et de substituer leurs imaginations incohérentes, aux antiques et vénérables traditions qui remontaient aux Apôtres. Le travail de falsification ne respecta rien. Les vérités les plus fondamentales furent attaquées. Les sectes se multiplièrent. L’erreur enfanta l’erreur. Les hérésiarques donnèrent la main aux hérésiarques. La curiosité et l’orgueil mirent la division et l’anarchie, par tout où Jésus-Christ avait mis l’harmonie et l’unité. Arius se leva, et toutes les oppositions à l’enseignement chrétien furent résumées et comme personnifiées en lui. L’Arianisme, en effet, fut moins une réaction théologique contre le modalisme de Sabellius qu’une réaction polythéiste et philosophique contre le principe chrétien, moins une hérésie que la négation même du Christianisme, une forme nouvelle de Gnosticisme et de Platonisme tempérée par l’idée pure de l’unité et de la simplicité de l’Être divin Ml séduisit bien des esprits. L’habileté des chefs, leur puissance d’intrigue, leur art pro fond de dissimuler, leur crédit auprès des Césars de Byzance, dont ils flattaient les passions, et encourageaient les empiétements sur l’Église, l’appui du despotisme, les vexations prodiguées aux orthodoxes favorisèrent singulièrement l’essor de l’Arianisme ; lequel d’ailleurs trouvait un grand auxiliaire dans la disposition d’âme de cette foule d’anciens idolâtres qui, devenus chrétiens par intérêt, politique ou complaisance, plutôt que par conviction, et restés in crédules ou à peu près au fond du cœur, inclinaient naturellement vers une doctrine, qui leur apparaissait comme un moyen terme et une espèce de transaction entre le polythéisme, dont ils n’avaient pu se détacher tout à fait, et le Christianisme, qu’ils goûtaient médiocre ment et n’osaient abandonner. De nouveaux orages fondirent sur l’Église, au moment où une grande victoire lui promettait une longue paix. Hypocrisie, violence, bassesses, sacrilèges, atrocités de toute espèce, rien ne coûta à l’Arianisme. En même temps qu’il disputait et subtilisait, il calomnia, il opprima, il versa le sang. D’illustres pontifes furent proscrits, des chaires éminentes profanées par la simonie et par l’intrusion, les monastères dévastés, les cénobites chargés de fers, des femmes orthodoxes, des prêtres vénérables massacrés, des horreurs commises qui rappelaient les plus mauvais jours du temps des persécutions[1]. Même frappée à mort par le concile de Nicée, l’hérésie eut encore, à force de mensonges, d’astuce, d’intrigues, de servilités, de fureurs, quelque temps de succès coupable. Ne pouvant faire mieux, elle se divisa en sectes. Le fleuve empoisonné, en se retirant, laissait ses rives couvertes de mares infectes ; le serpent écrasé se survivait dans chacun de ses tronçons, animés de sa malice, pleins de son venin. Sous les noms de Marcel, de Photin, d’Eunomius, d’Apollinaire, Arius continua de

  1. Ginouilhac, Hist. du dogme, t. 2, p. 259, etc.