Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/29

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saintement mémorables, auxquels la vénération des siècles a donné ce grand nom de Pères de l’Église, quelques-uns l’ont surpassé par le génie et le savoir, aucun par la grandeur de l’âme, ni par la beauté des enseignements, ni par l’éloquence unie à la charité, ni par l’ardeur et le courage de la foi, ni par le nombre et la portée des travaux, ni par les lumières et les bienfaits répandus ; et soit que l’on considère les pieux triomphes de sa parole, ou ses admirables commentaires sur les saints livres, ou les luttes subies pour l’honneur du sacerdoce et de l’Église, ou le dévouement et les immolations de l’Apôtre, ou l’héroïsme et la sainteté du pontife, ou les épreuves qui ont couronné par une grande mort une si grande vie, il est impossible de ne pas admirer en lui l’un des plus puissants instruments de Dieu pour l’éducation et la rénovation du monde par l’Évangile.

De l’orateur, on a tout dit ; la critique s’est rangée de l’avis du peuple, et, malgré d’incontestables défauts, Chrysostome est resté dans l’unanimité des esprits la plus belle personnification de l’éloquence sacrée. L’ampleur, la variété, le mouvement, la souplesse de la parole, l’élévation de l’idée, l’éclat, la beauté des images, la science et l’onction des écritures, la chaleur, la véhémence, le pathétique, ce je ne sais quoi qui subjugue ou soulève un auditoire, qui fait que chaque parole tombée dans les âmes arrache des larmes, allume des flammes, et, ré percutée par tous les échos du cœur, produit un long et saint retentissement dans la vie ; en un mot, tous les attributs du grand orateur chrétien, il les possède à un degré éminent. La tribune évangélique n’a rien à lui comparer. Le luxe oriental de sa diction en affaiblit rare ment l’énergie. Chez lui, l’onction tempère l’éclat, la charité attendrit l’imagination. Rien ne resplendit dans sa parole, qui ne brûle dans son cœur. Discours ou actions, tout jaillit de la même source, un ardent amour de Dieu et des hommes en Jésus-Christ. Cet amour, c’est son inspiration, son éloquence, son talent, sa force, sa vie tout entière. On en sent la flamme dans chaque mot qui sort de sa bouche. L’orateur n’est que l’interprète du saint.

L’art de Chrysostome est de n’en pas avoir. Son discours est l’épanchement de son âme. Tout y est noble et simple, d’un ravissant abandon. Il parle une langue admirable, et il la parle admirablement. Qu’il expose, qu’il discute, qu’il objurgue, qu’il prie, qu’il soit populaire ou sublime, c’est toujours la bouche-d’or : sa phrase est harmonieuse, sa parole imagée ; mais jamais de tension, jamais d’enflure ni de recherche. Rien n’est donné à l’esprit ; tout vient du cœur et s’adresse au cœur. Ce qu’il touche, il le rend lumineux ; ce qu’il recommande, il le fait aimer. Les foules charmées demeurent suspendues à ses lèvres des heures entières. On ne se lasse pas de l’entendre. Il plaît, il éclaire, il touche, il entraîne. Son âme enveloppe et saisit l’auditoire d’une étreinte magnétique, et toute résistance devient impossible. Les juifs, les païens, venus l’écouter par curiosité, s’en retournaient désarmés de toute objection et convertis à l’Évangile. Jamais parole plus attrayante n’impressionna plus profondément.

On l’a dit avec raison : le génie de Chrysostome tient de Jérusalem et d’Athènes, de Démosthène et d’Isaïe ; il a l’éclat et l’abondance de l’Orient, avec la clarté, le sens positif et pratique de l’Occident. Ses accents, d’une incomparable beauté, tirent un grand prestige de la sainteté de sa vie. Ses vertus sont les plus vives images de ses discours. Mais au fond de ces vertus, les inspirant, les dominant toutes, resplendit la charité. Il semble n’exister que par elle et pour elle, et n’avoir reçu du Ciel la puissance de la parole que pour la célébrer, la pro pager, pour faire entrer plus avant dans les cœurs et dans les mœurs cette grande loi qui résume tout l’Évangile.

Un monument magnifique a été élevé à la gloire du Christianisme par l’éloquence de Jean. Cependant il ne songeait guère à la postérité. Il n’a pas écrit deux lignes pour elle. Ses œuvres, à très-peu près, ne sont qu’une collection de discours adressés à un peuple ardent et mobile, qui se pressait pour l’entendre, qui aimait à l’applaudir ; discours préparés au jour le jour, suivant l’inspiration des circonstances ou les besoins du moment, tantôt pour signaler une erreur, tantôt pour combattre une superstition, tantôt pour extirper un abus, toujours pour affermir et étendre le règne de l’Évangile sur des âmes trop pleines encore des souvenirs et des sentiments du paganisme. Les formes sévères et savantes de l’écrivain n’y paraissent jamais. C’est un pasteur qui parle à ses ouailles, un père à ses enfants. Mais au milieu de la familiarité touchante, de l’admirable désordre de ces entretiens multipliés, vous voyez se dérouler devant vous, dans toute sa magnificence,