Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/30

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l’ensemble de la théologie catholique. Saint Mathieu, saint Jean, saint Paul n’ont pas eu de plus solide interprète. La pensée, l’âme de Chrysostome s’est si bien identifiée à la pensée, à l’âme de saint Paul, qu’on croit entendre l’un en écoutant l’autre, peuple enthousiaste de son docteur se plaît à dire que le grand Apôtre lui-même visite son disciple, et lui révèle le sens, lui dicte le commentaire de ses écrits[1].

Mais nous aimons à le signaler de nouveau, celui des enseignements chrétiens auquel le ministère de Jean paraît plus spécialement con sacré, c’est la charité. Jamais le grand orateur ne fut plus beau qu’en plaidant la cause des pauvres, confondue dans son cœur avec la cause de Jésus-Christ. Prêtre, il s’était dépouillé de l’héritage de ses pères, pour en faire l’héritage des malheureux ; évêque, toutes les ressources comme toutes les influences d’une haute position furent employées par lui, avec un zèle incomparable, à développer sur une large échelle, à multiplier sans fin les institutions et les bienfaits de la charité. Il songea quelque temps à l’extinction de l’indigence, et même à établir, dans la ville fastueuse de Constantin, au milieu des chrétiens divisés et dégénérés de Byzance, quelque chose comme la communauté apostolique et la fraternité primitive de l’Église de Jérusalem[2] : rêve généreux d’une belle âme, que les conditions de notre existence ici-bas, et les vices de notre nature, condamnent à n’être qu’un rêve éternel ! Mais toutes les misères du pauvre, toutes ses angoisses, tous ses désespoirs avaient un écho puissant dans ce noble cœur, dans cette bouche éloquente du pontife du Christ, et lui arrachaient des cris de douleur, à faire trembler l’égoïsme et l’orgueil même sur le trône. Disciple d’un maître adoré, dont il fut dit qu’il n’éteindrait pas la mèche fumante et n’arrache rait pas le roseau tassé, son discours respire d’ordinaire la mansuétude et l’onction ; mais à l’aspect des vices insolents, du luxe stérile et cruel d’une société corrompue, son accent s’élève, il gronde comme une tempête ; et l’on serait tenté, à la véhémence, à la sainte audace de ses attaques contre les grands, les riches, les oppresseurs du pauvre, contre la cour elle-même, de l’appeler tribun de la charité, si ces deux mots ne se repoussaient l’un l’autre, et si la parole de Chrysostome, dans ses plus grands emportements, ne reflétait toujours la douceur de l’Évangile et la sérénité de son âme[3]. Il ne fut pas le tribun ; il est le docteur de la charité. Toutefois, reconnaissons-le, la nature lui avait donné la parole et l’âme d’un tribun. Il était né pour la lutte. À Athènes, à Rome, sa voix eût rempli le forum, agité la multitude, fait trembler le despotisme. Il se fût plu aux orages de la liberté, et peut-être se fût-il brisé, lui aussi, à manier, à gouverner les masses ignorantes et mobiles. Mais la charité avait transfiguré la nature, et d’un tribun du peuple fait un apôtre de Dieu. On ne comprend pas, quels que soient l’aveuglement et la fureur de sa haine contre tout ce qui porte le nom de chrétien, que Zozime ait représenté, comme une espèce de démagogue, un homme à qui sans doute l’éloquence et la vertu avaient donné une grande puissance sur le peuple, mais dont la puissance ne fut jamais qu’au service de la vérité, de la justice, de la charité.

Avec cette flamme divine de la charité, vous respirez partout, dans les œuvres de Jean, un sentiment profond et puissant de la dignité humaine. Le cloître couvrait encore de ses ombres et de son silence le nom fatal de Pélage : le naturalisme impie de l’hérésiarque n’effrayait pas la foi de l’Église, et rien n’obligeait les docteurs catholiques à défendre plus spécialement les dogmes universellement respectés de la déchéance et de la grâce. Au contraire, les sombres doctrines de Manès. bien que proscrites et contraintes de se cacher, ne comptaient que trop d’adeptes et de fauteurs. Leur influence ressentie au-delà même du cercle de leurs partisans, et les restes vivaces des vieilles croyances païennes à la fortune et au destin, poussaient à l’abandon d’elles-mêmes, à l’insouciance ou au désespoir, une foule d’âmes, abattues déjà sous le poids des malheurs publics, en qui d’ailleurs l’habitude de l’esclavage et la tyrannie de la centralisation romaine avaient singulièrement affaibli tout sentiment de noblesse et de responsabilité personnelle. C’est à peine si, dans ce honteux affaissement, quelques-uns conservaient une vague conscience de leur libre arbitre. C’est pourquoi le saint orateur se plaît à relever si souvent la grandeur et la dignité de la nature humaine, la magnificence des dons qu’il a plu à Dieu de lui conférer, les forces et la liberté qu’elle conserve, même dans la dis grâce et la déchéance[4], et cette étincelle sacrée

  1. Brev. rom., ad 27 januarii.
  2. Hom. 9, in Act. apost.
  3. Hom. M, in Genes., in fin.
  4. Epist. L. Jac., 1.