Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/31

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qui se cache dans ses entrailles malades, prête à jaillir en gerbe de lumière et de feu au moindre choc de la grâce divine. Il parle à des hom mes régénérés par le Christ, en pleine possession de tous les biens de l’Évangile, la loi par faite de la liberté ; et il lui semble impossible qu’éclairés de cette lumière, pleins de ces espérances, vivants de cette vie, ils puissent con naître les défaillances, les hontes, les désespoirs de la servitude ou du fatalisme. Il les rappelle énergiquement au respect d’eux-mêmes, au sentiment de leur noblesse native, à la grandeur de leur destinée, aux devoirs, à la responsabilité de la liberté ; et il ne cesse de leur re dire, avec les commentaires les plus saisissants, ces belles paroles de l’Apôtre : Rachetés à grand prix, glorifiez et portez Dieu dans vos corps[1] ! Du reste, ne voyant l’homme qu’en Jésus-Christ, idéal divin de toute dignité, de toute perfection humaine, que chaque chrétien doit porter dans sa pensée et reproduire dans sa vie, il se plaît à célébrer souvent, avec la foi la plus vive et la plus chaleureuse éloquence, le dogme sacré, ineffable, source de noblesse et de vertu, foyer rayonnant et inépuisable de charité, où l’homme-Dieu se présente, non plus seulement comme le guide et l’oracle, mais comme le pain vivant et céleste de l’homme, appelé à l’union la plus intime avec Dieu, jusqu’à n’avoir qu’une même âme, un même sang avec Jésus-Christ, jusqu’à pouvoir dire avec saint Paul : Je vis, moi, non plus moi, Jésus-Christ vit en moi[2]. Ainsi, le panégyriste de la dignité humaine, le docteur de la charité, est, par cela même, le prédicateur et le docteur de l’Eucharistie.

Mais une grande préoccupation du pontife, c’est la liberté de l’Église. Il la voit menacée, autour de lui du moins, par la protection hypocrite et la politique envahissante des Césars de Byzance. Sentinelle avancée, du haut de son poste, il surveille, il signale les manœuvres de l’ennemi, et, de toute l’ardeur d’un dévouement aussi éclairé qu’intrépide, il s’efforce de fermer la route aux usurpations, quelque nom qu’elles prennent, quelques complices qu’elles aient. L’empire, à peine chrétien, jalouse le sacerdoce et aspire à l’asservir, et déjà commence entre les deux pouvoirs cette longue lutte qui agitera les plus beaux siècles du Christianisme. L’Orient laisse voir ses malheureuses tendances : mais Jean s’est élancé[3], l’un des premiers, sur ce champ de bataille, qu’illustreront après lui les Grégoire VII, les Innocent III, les Anselme, les Thomas de Cantorbéry, une foule de pontifes héroïques, champions illustres qui, en combat tant pour l’indépendance du principe religieux, s’immolaient pour la liberté et le bonheur des peuples. Blessé dans la lutte, trahi par ses frères, il tombe ; mais en tombant il pousse un cri, et ce cri, qui est une invocation à l’évêque de Rome, une solennelle proclamation de sa haute suprématie, signale à ses successeurs dans l’église grecque l’écueil fatal où les poussent un orgueil aveugle et une politique insensée, l’étoile polaire sur laquelle ils doivent gouverner leur route, s’ils ne veulent, par une fausse indépendance, arriver à la plus malheureuse servitude. Héros, martyr de la liberté de l’Église, il fraie la route à d’autres héros, à d’autres martyrs. « Mal gré les distances qui nous séparent, écrivait-il du fond de son exil au pape Innocent, je ne suis pas éloigné de Votre Sainteté ; tous les jours je suis auprès d’elle[4]. » Et maintenant que son corps repose à deux pas de la confession de saint Pierre, sous l’œil du successeur d’Innocent, du fond de sa tombe, sa voie semble crier encore à des oreilles, hélas ! trop sourdes : Revenez à l’Église-mère, fondement de la vérité, source de l’unité. C’est notre rempart, notre sécurité, le port sans vagues, le trésor d’innombrables biens, la cause d’une joie pure et sainte[5] ! Là, est la liberté et la dignité des consciences ; là, est le salut ; là, veille un pilote que la tempête ne peut surprendre ; là, une charité qui embrasse le monde, lutte pour les églises affligées, pour le clergé opprimé, pour les peuples persécutés, pour l’univers entier[6]. Et quiconque ne marche pas sous la bannière de cette grande Église, l’oracle et le guide des autres, l’appui et le suprême refuge de tous, marche à l’abîme !

Mais, si grand que soit le docteur, le saint est plus grand encore. Douceur et fermeté, zèle et prudence, courage et modération, grandeur d’âme et sincère humilité, l’austérité de l’ascétisme et l’aménité la plus aimable, l’habitude des hautes méditations et le sens droit d’un esprit pratique, l’amour de la règle, la haine ardente de l’orgueil, de l’avarice, de l’hypocrisie, la sévérité pour lui-même avec une indulgence inépuisable, une immense charité toujours éloquente et toujours active, l’amour tendre et passionné de Jésus-Christ, toutes les qualités, toutes les vertus qui font les grands pontifes, il les résumait

  1. I. ad Corinth., c. 6.
  2. Ad Gal., c. 2.
  3. Sa pensée se révèle dès ses premiers ouvrages ; voy. Liv. De S. Babyl., n° 9, t. 2, p. 551.
  4. Ep. 2 Chrys. ad Inn.
  5. Ibid.
  6. Ibid.