Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 1, 1865.djvu/32

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en lui d’une manière admirable, l’on peut sans hésitation le présenter comme un des types les plus accomplis du sacerdoce chrétien.

Dans les relations ordinaires de la vie, Chrysostome était réservé, presque taciturne. Avare du temps, il en donnait peu aux conversations : solitaire au milieu du monde, il s’était fait de sa pensée un sanctuaire, et il se plaisait dans cette enceinte lumineuse que Dieu avait parée de tant de richesses, dont aucun bruit terrestre, aucune image grossière ne venait profaner le silence et la paix : pieux Sinaï de la contemplation et de l’amour, d’où il descendait par devoir et, comme Moïse, le front rayonnant de l’ombre de Dieu. D’une sobriété extrême et qui tenait à la fois de la pénitence et de la délicatesse de sa santé, il n’acceptait aucune invitation, n’en faisait aucune, mangeait toujours seul et oubliait sou vent de manger. D’autres étaient obligés de se souvenir pour lui qu’il avait un corps.

L’auteur d’une histoire[1] ecclésiastique, qui avait pu connaître Chrysostome, mais qui tenait aux Novatiens, et, par conséquent, suspect quand il s’agit d’un évêque catholique, attribue à notre Saint un caractère fier et emporté, dont les écarts furent, selon lui, la source de toutes ses peines. Rien n’est moins vrai. La modération et la charité dominent toute la vie de Jean. S’il naquit avec un caractère hautain et violent, il le dompta si bien par une victoire complète[2] sur lui-même, que la douceur, la sérénité semblait plutôt le facile épanouissement et la physionomie native de son être, qu’une vertu acquise par de laborieux efforts. La paix céleste qui remplissait son cœur se reflétait sur son visage. Néanmoins il avait, dans ses rapports avec les hommes, l’habitude[3] d’une franchise qu’on trouvait rude tout d’abord, mais qu’on ne tardait pas à apprécier et à aimer. Car cette sainte rudesse n’était que la surabondance de droiture, de sincérité, de délicatesse, d’une vertu qui n’admettait, ni la dissimulation, ni la défiance, et croyait se retrouver elle-même dans les autre. Chez cet homme éminent, la naïveté s’alliait à la grandeur. Cette haute intelligence, habituée aux profondeurs de la science de Dieu, dont le regard jouissait de la vue des anges[4], ne voyait pas sur la terre, à ses pieds, les grossières embûches que lui tendait la jalousie ; et les manœuvres de ses ennemis le surprirent toujours[5]. Il était incrédule au mal.

Plein d’amabilité dans son langage, et, comme saint Athanase[6], plus aimable encore par ses mœurs, on eût dit cependant qu’à bien des égards, il avait besoin de sa tribune pour être lui-même. Instrument d’enthousiasme, qui ne vibrait qu’au souffle des grandes assemblées, sa place était entre l’autel et la multitude. La chaire était son Thabor. Dès qu’il y paraissait, on ne voyait plus que le prophète, l’apôtre, Jean-Baptiste ou saint Paul aux bords de l’Oronte ou du Bosphore, l’homme de Dieu avec la magnificence, l’autorité, le prestige irrésistible et saint de la parole de Dieu.

Il n’écrivait pas ses discours. D’ordinaire, il parlait après une méditation plus ou moins pro fonde de son sujet. Quelquefois la parole jaillissait tout à coup de son cœur, et fleurissait spontanément et merveilleusement sur ses lèvres. Personne ne l’égala dans l’improvisation[7]. Plongé dans l’étude des livres saints, nourri du Verbe divin qui se révèle au cœur pieux dans chaque mot de l’Évangile et qui est le flambeau du monde et de sa vie, il était, lui aussi, esprit et lumière, grâce et amour, et il lui suffisait de se trouver en présence des masses pressées et attentives au pied de sa chaire, pour que son âme éclatât en magnifiques accents ou s’épandît en effusions brûlantes. L’auditoire saisi, transporté, répondait par des applaudissements, par des acclamations, plus souvent par des larmes, des sanglots, des cris d’épouvante, des protestations de repentir, se frappait le front, demandait grâce.

Si l’on peut accepter comme ressemblant le portrait qu’a tracé de Jean un évêque grec du xie siècle[8], il avait la taille de saint Paul et de saint Athanase, c’est-à-dire qu’il était petit[9] ; mais le noble port de sa tête semblait le grandir. Il avait l’œil grand, le regard profond, le nez bien fait, le sourire triste mais plein de charme. Son front large et chauve, sa barbe blanche ajoutaient à la majesté calme de ce visage, où respiraient la loyauté et la fermeté de son âme[10]. L’austérité de son maintien rehaussait, au lieu d’exclure, l’attrait des manières et du langage. Les longues veilles, les jeûnes obstinés,

  1. Socr., 1. 6, c. 3.
  2. Sacerd., 1. 6, c. 12, et 1. 3, c. 10.
  3. Sacer., 1. 1, c. 7.
  4. S. Nil ep 294, 1. 2.
  5. Chrys. du Sacerd. 1. 6, c. 3.
  6. S. Grég. de Naz., Orat. paneg. S. Athan., no 9.
  7. Suid. in verb. Joan. – Phot., 17.
  8. Joan., episc. Euchait. ap. Stilting, t. 4, sopt. p. 692.
  9. Jean semble faire allusion à la petitesse de sa taille, quand il dit de saint Paul : « Sa stature était petite, et en cela il n’avait aucun avantage sur nous. » (Lib. ad Stelech., de comp., n° 2.)
  10. Pali., dial., c. 5.