Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/102

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quelqu’un ; mais il n’est pas besoin de science ni de vertu pour vivre dans l’abondance. – Au contraire, ce point réclame beaucoup de vertu, et non moins que son opposé. Comment ? C’est que si la faim conseille beaucoup de crimes, l’abondance n’a pas moins de mauvaises inspirations. Plusieurs, en effet, quand ils sont arrivés à l’opulence, deviennent paresseux et ne savent porter le poids de la fortune. Plusieurs ont trouvé dans la richesse le prétexte d’une fainéantise absolue. Tel n’était pas l’apôtre. Quand il recevait, il savait faire la part, et très large, de son prochain. Voilà bien user de ce qu’on possède. Il ne ralentissait point son zèle, il ne se réjouissait pas de l’affluence des biens de la terre ; mais il se montrait toujours le même dans la disette comme dans l’abondance, sans jamais être accablé par l’une, ni enflé par l’autre.
2. « Je sais être rassasié ou être affamé », disait-il ; « je sais porter l’abondance ou la pénurie ». Il en est plus d’un qui ne savent pas être rassasiés sans danger, comme ces Israélites qui mangeaient et aussitôt se révoltaient ; pour moi, dit-il, je garde en toute occasion la même modération. Il montre ainsi qu’il n’a pas plus de plaisir aujourd’hui qu’il n’a éprouvé de douleur auparavant ; et que, s’il a accepté, c’était plus pour eux que pour lui-même : car, pour lui, il savait ne point éprouver le moindre changement d’humeur. « Partout, en effet, à tout événement je suis prêt et formé », c’est-à-dire, de longue date j’ai fait de toutes choses la complète expérience, et toutes choses me vont également bien. Et parce qu’une telle affirmation sentait la vanterie, voyez comme saint Paul se hâte de la corriger : « Je puis tout », dit-il, « en Jésus-Christ qui me fortifie » ; c’est-à-dire, ce que je fais de bien, ce n’est pas moi qui le fais, mais celui qui m’en donne la force.
Toutefois les plus généreux bienfaiteurs se ralentissent, s’ils voient que leur obligé n’est pas vivement touché, et qu’il dédaigne même ce qu’on lui donne. On est volontiers charitable, quand on croit faire un heureux, soulager un besoin. Paul donc, en méprisant les secours qu’on lui offrait, aurait rendu nécessairement les néophytes plus négligents. Or, voyez comme il s’empresse de prévenir ce malheur. Ses avis précédents réprimaient en eux l’orgueil satisfait ; les paroles qui suivent animent et enflamment leur saint dévouement : « Vous avez bien fait néanmoins », dit-il, « de prendre part à l’affliction où je suis ». Voyez comme tour à tour il s’élève et s’abaisse, s’isole et se rapproche, et reconnaissez à ce double trait son amitié pour eux à la fois vive et chrétienne. Je pouvais me passer, dit-il, mais n’allez pas croire que pour cela je n’éprouvasse aucun besoin : j’ai besoin, pour vous être utile. Et comment participaient-ils à ses souffrances ? Par leur charité secourable. Il leur dit la même chose touchant ses chaînes : « Vous êtes tous associés à ma grâce », leur dit-il ; c’est une grâce, en effet, de souffrir pour Jésus-Christ, et l’apôtre leur avait déjà dit : « Dieu vous a fait cette grâce, non seulement de croire en lui, mais de souffrir pour lui ». (Phil. 1,29) En s’arrêtant court après ses premières paroles, il aurait pu les affliger. Aussi veut-il les embrasser dans un tendre amour et leur adresser un éloge, quoique modéré. Il ne dit pas : Vous avez bien fait de me « donner… » ; mais, de « prendre part » à mes afflictions ; montrant qu’eux-mêmes ont gagné, puisqu’ils ont acquis le droit de partager la récompense. Il ne dit pas non plus : Vous avez allégé mes souffrances ; mais : « Vous avez pris part à mes tribulations », ce qui était certainement plus glorieux.
Comprenez-vous maintenant l’humilité de saint Paul ? Voyez-vous aussi sa magnanimité ? Il a commencé par déclarer qu’il n’a aucun besoin de leur argent ; mais aussitôt il ne craint pas d’user des plus humbles expressions, s’abaissant même au langage des mendiants qui vous disent : Donnez, selon votre habitude charitable ! Car l’apôtre ne recule devant aucune parole, ni devant aucune action pour arriver pleinement à son noble but. Et quel est ce but ? Vous n’accuserez pas, leur dit-il, l’arrogance de mon langage, bien que je vous aie blâmé, bien que je vous aie écrit : « Enfin, une fois encore, vous avez refleuri ». Vous ne m’accuserez pas non plus de parler sous l’empire de la nécessité. Non, je ne vous ai pas écrit sous l’influence du besoin. Quel fut donc mon mobile ? Une pleine confiance en vous, et vous-mêmes êtes la cause et les auteurs de cette confiance. Voyez comme il gagne leur cœur. Vous êtes cause de ma confiance, leur dit-il ; vous accourez les premiers à notre aide ; vous nous donnez le droit de vous