Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/149

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qu’à cause de ces serviteurs qui ont une âme comme nous, qui sont faits comme nous, n’est-ce pas à plus forte raison un déshonneur de devoir sa considération à un entourage encore plus vil, à des murailles, à des galeries, à de la vaisselle d’or, à des vêtements ? Voilà qui est vraiment ridicule et honteux. Mieux vaut la mort que de pareils honneurs.
Je vous le demande : si, au milieu de tout ce faste, vous couriez quelque danger, et si quelque être vil et méprisable s’offrait à vous pour vous en délivrer, votre situation ne serait-elle pas affreuse ? Que vous disiez-vous les uns aux autres à propos d’une certaine cité ? Je veux vous le rappeler. Notre ville offensa un jour son souverain, et le souverain ordonna qu’elle fût anéantie avec ses habitants, ses enfants et ses maisons. Car telle est la colère des rois ; ils usent, comme ils veulent, de leur pouvoir, tant il est vrai que le pouvoir est un grand malheur ! Notre ville était donc dans un péril extrême. Une ville maritime de notre voisinage intercéda pour nous auprès de l’empereur. Mais les habitants de notre cité disaient qu’une pareille intercession était pire que la ruine. Tant il est vrai qu’un pareil honneur est pire que l’ignominie ! Voyez, en effet, sur quoi repose souvent l’honneur humain. C’est l’œuvre de nos cuisiniers, et c’est à eux que nous devons en savoir gré ; c’est aussi l’œuvre de cet éleveur de porcs qui fournit au luxe de notre table ; c’est l’œuvre des tisserands, des cotonnadiers, de ceux qui travaillent les métaux ; c’est l’œuvre des pâtissiers et des gens de service.
4. Ne vaut-il donc pas mieux être privé de tous ces honneurs, que d’avoir des obligations à de pareils gens ? Mais, outre cela, je vais essayer de prouver qu’on s’avilit en s’enrichissant. Oui, la richesse donne au riche une vilaine âme : quoi de plus honteux ? Je vais vous faire une question. Je suppose qu’un homme ait le don de la beauté et qu’il soit doué d’une beauté supérieure. La fortune veut bien le visiter, mais à condition qu’elle remplacera, chez cet homme, la beauté par la laideur, la santé par la maladie, la juste proportion des membres par l’enflure et l’inflammation. Et, grâce à la fortune, voilà le nouveau riche qui est hydropique de tous ses membres ! Voilà son visage qui se gonfle et qui se boursouffle ! Voilà ses pieds qui atteignent à la grosseur de deux poutres ! Voilà son ventre qui est plus gros qu’un tonneau ! La fortune, en outre, abusant de son pouvoir, lui déclare qu’elle ne laissera pas aux médecins de bonne volonté, liberté pleine et entière de le soigner. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de les laisser approcher du malade, à condition qu’elle les punira. Qu’y aurait-il de plus déplorable, je vous le demande, qu’une pareille condition ? Voilà pourtant ce que la richesse fait de notre âme. Comment donc serait-elle un bien ? Mais le pouvoir excessif que donne la richesse est encore pire que le mal. Car, ne pas même écouter les ordonnances des médecins, c’est encore pis que d’être malade. Eh bien ! tel est l’effet de la richesse : quand elle a produit l’hydropisie complète et l’inflammation de l’âme, elle éloigne les médecins.
Ne disons donc pas qu’ils sont heureux ces hommes revêtus d’un pouvoir excessif, et plaignons-les plutôt. Cet hydropique gisant sur son lit, que personne n’empêche de se gorger de boissons et de viandes malfaisantes, dirons-nous qu’il est heureux, parce qu’il peut prendre tout ce qu’il lui plaît ? Car le pouvoir de tout faire n’est pas toujours un bien, pas plus que les honneurs. Tout cela remplit l’âme d’orgueil et d’arrogance. Vous ne voudriez pas avoir en partage les maladies du corps en même temps que la richesse ; pourquoi donc faire si bon marché de votre âme pour laquelle non seulement la maladie, mais un autre châtiment encore est la suite de la richesse ? L’âme du riche, en effet, est attaquée de tous côtés par la fièvre et par l’inflammation ; et cette fièvre, personne ne peut l’éteindre. La richesse le défend, la richesse qui persuade au malade que ce qui fait son malheur doit le rendre heureux, la richesse qui lui souffle à l’oreille de ne supporter aucun avis et de n’écouter que ses fantaisies. Il n’y a que l’âme du riche, en effet, pour être en proie à mille fantaisies monstrueuses. Quelles idées puériles n’ont-ils pas ? Ils en ont plus que ces fous qui se forgent des monstres et des chimères, qui n’ont devant les yeux que Scyllas et que fantômes aux pieds de serpents. En comparaison d’un de leurs caprices bizarres, les Scyllas, les chimères, les hippocentaures ne sont rien ; un seul de leurs caprices est tout ce qu’il y a au monde de plus monstrueux. On croira peut-être que j’ai dû être bien riche moi-même, quand on me verra faire des riches une peinture si fidèle. On dit, car je veux d’abord prouver