Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/23

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plus sainte, celle de l’apostolat, et qui entraîne à leur perte des gens qui ont eu le malheur de suivre ses inspirations ? De quels traits atroces n’accable-t-il pas ses adeptes les plus dévoués ? Et il leur forge ces traits et ce supplice avec la prédication elle-même, avec toutes les fatigues d’un saint combat. Quel autre ennemi, quel autre bourreau aurait ainsi préparé pour leur ruine tous les instruments du salut ? – Comprenez, en outre, qu’on ne peut aucunement aboutir, quand on fait la guerre contre la vérité. Bien plutôt alors on se blesse, comme celui qui regimbe contre l’aiguillon.
« Car je sais que l’événement m’en sera salutaire, par vos prières et par l’infusion de l’esprit de Jésus-Christ (19) ». Rien de plus détestable que le démon. Il accable, il écrase ses tristes amis sous le poids de fatigues stériles ; et non content de les empêcher de conquérir la récompense, il sait leur faire mériter les châtiments, leur imposant non pas seulement la prédication, mais des jeûnes, mais une virginité qui seront privés de récompense, et prépareront même, à ceux qui les auront pratiqués, un affreux malheur. Tels sont les hommes qu’il stigmatise ailleurs comme « ayant leur conscience cautérisée ».
Remercions donc le Seigneur, je vous en prie, de ce qu’il a bien voulu nous alléger le travail et nous augmenter la récompense. Il est tel salaire, en effet, que recevront parmi nous de simples chrétiens par le chaste usage du mariage, et que ne pourront jamais gagner, chez certains autres, ceux mêmes qui auront gardé la virginité : oui, chez les hérétiques, ces hommes de virginité fidèlement pratiquée subiront la même peine que les fornicateurs. Pourquoi ? C’est qu’ils ne font rien avec droiture de volonté et d’intention, mais que leur but est d’accuser les œuvres de Dieu et son immense sagesse[1]. Dieu pour empêcher la paresse nous a imposé des travaux modérés, et qui ne sont point pénibles. Craignons néanmoins de les dédaigner. Car si les hérétiques se mortifient par d’inutiles travaux, quelle excuse aurons-nous de ne point subir des fatigues beaucoup moindres que doit couronner une si grande récompense ? Qu’y a-t-il donc de si lourd, de si accablant dans les commandements de Jésus-Christ ? Ne pouvez-vous vivre dans la virginité ? Le mariage vous est permis. Ne pouvez-vous vous dépouiller de tous vos biens ? Il vous est permis de n’en verser qu’une partie par l’aumône. « Que votre abondance », vous dit l’apôtre, « supplée à leur disette ». Il se peut que vous regardiez comme grand et difficile le mépris des richesses, l’empire absolu sur votre chair : mais pour les autres vertus moindres, vous n’avez besoin ni de dépense, ni d’une violence excessive sur vous-mêmes. Quelle violence, en effet, faut-il s’imposer pour ne pas médire, pour ne pas accuser témérairement, pour ne pas envier les biens du prochain, pour résister aux entraînements de l’ambition ? Il faut de la force pour endurer les tourments sans fléchir ; il en faut pour se contenir en vrai sage, pour supporter la pauvreté, pour lutter contre la faim et la soif. Mais si de pareils combats vous sont épargnés ; si vous pouvez, autant qu’il est permis à un chrétien, jouir de vos biens, vous faut-il un si grand effort pour vous abstenir d’envier ceux des autres ? Cette misérable passion de l’envie, ou, pour mieux dire, tous nos maux et nos crimes n’ont qu’une source : c’est notre attachement aux biens présents. Si vous regardiez comme pur néant les richesses et la gloire de ce monde, vous n’auriez pas ce regard envieux contre ceux qui les possèdent.
4. C’est parce que vous êtes épris de ces biens jusqu’à la folie, jusqu’à l’hallucination, que l’envie, que l’ambition vous entraîne et vous agite ; oui, de là vient tout le mal, de cette admiration d’une vie éphémère et des biens qui s’y rattachent. Vous porterez envie à cet homme, parce qu’il s’enrichit ? Hélas ! il mérite bien plus votre pitié et vos larmes. Vous me répondez aussitôt en riant : c’est moi qui mérite les pleurs et non pas lui ! Ah ! oui, l’on vous doit aussi les larmes, non parce que vous êtes pauvre, mais parce que vous vous croyez misérable. Car enfin certaines gens qui n’ont aucun mal réel, et dont l’imagination seule est malade, obtiennent cependant nos larmes sincères, non pour leur mauvaise santé, puisqu’ils n’ont aucune maladie, mais pour l’idée qu’ils se sont faite. Ainsi, dites-moi, voici un homme sans fièvre et qui néanmoins se désole, bien portant et qui garde le lit et se laisse porter ; ne méritera-t-il pas, ce malheureux, qu’on pleure sur lui, plutôt que sur de véritables fiévreux, non certes à cause de sa fièvre,

  1. Les Manichéens, en effet, et avant eux les prohibentes nubere dont parle saint Paul à Timothée, professaient et ces maximes et ces pratiques.