Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/341

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6. Mais, dira-t-on, où trouver des saints tels que ceux-là pour leur laver les pieds ? Il y en a dans l’Église. N’allez point, parce que nous vous avons décrit la vie des solitaires, mépriser les saints qui sont dans les églises. Beaucoup de saints tels que ceux-là vivent au milieu des fidèles ; mais ils sont cachés. Non, ne les dédaignons point parce qu’ils habitent des maisons, parce qu’ils se montrent sur les places publiques, parce qu’ils exercent quelque charge. C’est Dieu lui-même qui l’a prescrit : « Rendez la justice en faveur de l’orphelin, et faites justice à la veuve ». (Is. 1,17) La vertu a divers sentiers, de même qu’il y a des perles bien différentes les unes des autres, et que toutes pourtant sont des perles ; l’une est brillante et parfaitement ronde, l’autre n’a pas la même beauté, mais a une beauté d’autre sorte. Comment cela ? De même qu’il est un art de donner au corail de longues branches et des angles bien ciselés, qu’il en est d’une couleur plus agréable à la vue que le blanc, qu’il en est de la nuance verte la plus agréable ; que telle pierre est d’un rouge de sang éclatant, telle autre d’un bleu plus vif que celui de la mer, qu’une autre surpasse la pourpre par son éclat ; que dans les fleurs et dans les couleurs du soleil on peut trouver tant de teintes diverses[1]; il en est de même des saints, les uns mènent la vie ascétique, les autres édifient les églises. « Si elle a lavé les pieds des saints et pourvu aux besoins de ceux qui endurent tribulation ».
Hâtons-nous de le faire, afin de pouvoir nous féliciter au ciel d’avoir lavé les pieds des saints. S’il faut laver leurs pieds, il faut surtout que notre main leur fasse l’aumône. « Que votre main gauche », dit l’Évangile, « ignore ce que fait votre main droite ». (Mt. 6,3) Pourquoi tant de témoins ? Que votre serviteur et votre femme même l’ignorent, s’il est possible. Les scandales produits par le perfide sont nombreux ; souvent une femme qui n’a jamais mis obstacle à vos bonnes œuvres s’avise de le faire par vanité ou pour quelque autre motif. Abraham, qui avait une femme admirable, lui cacha qu’il allait immoler son fils parce qu’il ignorait ce qui allait se produire et croyait le sacrifier en effet. Qu’est-ce qu’aurait dit à sa place un homme de sentiments vulgaires ? – Qui donc a jamais fait pareille chose, eût-il dit ? quelle cruauté ! quelle barbarie ! Ce juste ne songea à rien de semblable, son amour pour son fils ne l’égara pas à ce point. Mais sans permettre à la mère de voir une dernière fois son fils, d’entendre ses dernières paroles, de recueillir sa dernière palpitation, il emmena le jeune homme comme un captif. Il n’avait qu’une seule chose en vue, accomplir l’ordre divin. Ni sa femme ni son fils n’étaient présents à sa pensée. L’enfant ignorait ce qui allait arriver, Abraham faisait tous ses efforts pour offrir une victime pure, et pour ne point la souiller par des larmes et des murmures. Isaac lui dit : « Voici le bois et le feu ; où donc est la brebis ? » (Gen. 22,7) Et que lui répond son père ? « Dieu pourvoira, mon fils, à la victime de son holocauste ». (Id. 8) Parole prophétique, car Dieu verra son propre fils offert en holocauste ; et Abraham s’est mis en marche. – Dites-moi : pourquoi lui cachez-vous qu’il doit être immolé ? – C’est que je crains qu’il ne faiblisse et ne paraisse une indigne victime. Vous avez vu avec quelle exactitude il accomplit cette parole : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite » ; c’est-à-dire : ne cherchons point sans nécessité à le faire connaître à ceux qui font partie de nous-même ; il en résulterait bien des maux. On est entraîné vers la vanité, souvent des obstacles se présentent. Cachons-nous donc à nous-même, s’il est possible, afin d’obtenir les biens promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Est-ce qu’on connaissait la décomposition de la lumière solaire au IVe siècle ?