Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/464

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une bonne réputation, vous voilà en butte au blâme, à la risée, à la haine générale ; vous voilà en guerre avec la société. L’homme irascible se punit en se déchirant lui-même avant de châtier celui qui est l’objet de sa colère. Peut-être même est-il réduit à se retirer, après s’être acquis la réputation d’un scélérat et d’un homme abominable, tandis qu’il rend plus intéressante la personne qu’il a attaquée. Quand l’objet de vos médisances, loin de vous rendre la pareille, vous loue et vous admire, c’est son éloge qu’il fait et non pas le vôtre. Car, je l’ai dit plus haut, si la médisance frappe d’abord son auteur, le bien profite d’abord à celui qui le fait. Oui, le bien et le mal que vous faites, commencent, et c’est justice, par tomber sur vous. L’eau salée, aussi bien que l’eau douce, remplit les vases dans lesquels on la puise, sans que sa source diminue ; il en est de même du vice ou de la vertu : ils font le bonheur ou la perte de celui dont ils émanent. Voilà la vérité.
Quelle parole pourrait décrire les peines ou les récompenses qui nous sont réservées dans l’autre vie ? La parole ici est impuissante. Les récompenses dépassent toute idée et à plus forte raison, toute expression. Les peines ont des noms que nous sommes accoutumés à leur donner. Il y a, dit-on, pour les coupables, du feu, des ténèbres et un ver toujours dévorant, mais il n’y a pas seulement les peines énumérées ci-dessus ; il y a des châtiments bien plus terribles encore. Voulez-vous me comprendre ? vous devez tout d’abord faire la réflexion suivante. Dites-moi : S’il y a du feu, comment y a-t-il des ténèbres ? Voyez-vous combien ce feu est plus terrible que le nôtre ; c’est un feu qui ne s’éteint pas. Aussi l’appelle-t-on le feu éternel. Pensons donc quel malheur c’est de brûler sans cesse, d’âtre plongé dans les ténèbres, de se répandre en gémissements, et de grincer des dents sans qu’on vous écoute. Si un homme bien élevé, jeté dans un cachot, trouve que l’odeur fétide de la prison, les ténèbres et la société des hommes de sang à elles seules, sont plus cruelles que la mort la plus affreuse, qu’est-ce donc, songez-y bien, de brûler toujours en compagnie des assassins qui ont infesté la terre, de briller sans rien voir, sans être vu de personne, en se croyant seul au milieu de toute cette foule de coupables ? Au milieu de ces ténèbres profondes, ne pouvant apercevoir ceux qui seront près de lui, chacun de nous croira être seul à souffrir. Si les ténèbres suffisent pour troubler nos âmes oppressées, que sera-ce, dites-moi, lorsqu’à l’horreur des ténèbres se joindra l’horreur des tourments ? C’est pourquoi, je vous en conjure, réfléchissez sans cesse à ces mystères de l’autre vie, et supportez l’ennui que peuvent vous causer mes paroles, polir n’avoir pas à supporter des supplices qui ne sont que trop réels. Car tout ce que je vous dis là s’accomplira de point en point. De tous ceux qui auront mérité d’être punis, pas un seul n’échappera au châtiment. Personne, ni père, ni mère, ni frère, ne pourra obtenir leur grâce, quelque puissante que soit sa parole, quelque grand que soit son crédit auprès de Dieu. « Le frère ne rachète pas ; l’homme rachètera-t-il ? » C’est Dieu qui donne à chacun selon ses œuvres ; ce sont nos œuvres qui feront notre salut ou notre perte.
« Faites-vous des amis avec l’argent de l’injustice » : c’est l’ordre du Seigneur, et nous devons obéir ; que le superflu de nos richesses soit versé dans le sein de l’indigence ; faisons l’aumône, tandis que nous le pouvons : c’est se faire des amis avec de l’argent : laissons tomber nos richesses entre les mains des pauvres, pour que ce feu tombe et s’éteigne, pour que nous paraissions là-haut avec confiance. Ce ne sont pas ceux qui nous accueillent, ce sont nos œuvres que nous trouverons là-haut pour nous défendre : que nos amis soient incapables de nous sauver, c’est ce que nous apprend ce qui vient ensuite. Pourquoi en effet le Christ n’a-t-il pas dit : Faites-vous des amis, pour qu’ils vous reçoivent dans lés demeures éternelles ? Pourquoi nous a-t-il indiqué en outre le moyen de nous en faire ? Ces mots avec « l’argent de l’iniquité » prouvent que ce sont nos richesses qui doivent nous faire des amis. Nous voyons par là que l’amitié à elle seule ne pourra nous défendre, si nous ne faisons provision de bonnes. œuvres, si la justice ne préside pas à l’emploi de ces richesses, injustement amassées. Ce que nous disons de l’aumône, doit s’appliquer non seulement aux riches, mais aux pauvres. Celui-là même qui vit d’aumône doit prendre pour lui nos paroles. Car il n’y a pas, non il n’y a pas de pauvre, quelque pauvre qu’il soit, qui ne possède deux petites pièces d’argent. Le pauvre qui prend sur le peu qu’il a pour donner peu de chose, peut être supérieur au riche qui donne plus que lui témoin la veuve. Car ce n’est pas à l’importance de la somme, mais au moyen et à la bonne volonté de celui qui donne que se mesure l’aumône. Ce qu’il faut toujours avoir, c’est la bonne volonté ; ce qu’il faut toujours avoir, c’est l’amour de Dieu. Que ce mobile nous fasse toujours agir, et quelque modeste que soit notre avoir, quelque modeste que soit notre aumône, Dieu ne se détournera pas de nous, et notre offrande sera reçue de lui, comme si elle était riche et magnifique : c’est la bonne volonté, ce n’est pas le don qu’il regarde ; et si notre bonne volonté lui parait grande, le souverain Juge nous accordé son suffrage et nous fait participer aux biens éternels. Puissent-ils devenir notre partage à tous, par sa grâce et sa miséricorde !