Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/536

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s’altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté ! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme ! vous moquez-vous enfin ?
Je parle ainsi, non pour vous éloigner de cet unique et annuel accomplissement d’un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l’écho de ce cri du diacre qui tout à l’heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les dispositions de chacun, afin que personne n’approche sans préparation. De même que dans up troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s’il s’en trouve qui soient malades, il faut qu’on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l’Église ; parmi nos ouailles, les unes sont saines, les autres malades, et la voix du ministre de l’autel partout retentissante, les sépare ; et cette voix terrible est l’écho de celle du prêtre qui appelle et attire exclusivement les saints. En effet, il est impossible à l’homme de connaître la conscience de son prochain : « Car », dit l’apôtre, « qui parmi les hommes connaît les secrets de l’homme, sinon la conscience humaine, parce qu’elle est dans l’homme ? » (1Cor. 2,11) C’est pourquoi la voix terrible retentit au moment où s’est achevé le sacrifice, afin que personne ne s’approche avec irréflexion et témérité de la grande source des grâces.
Dans un troupeau (car rien ne nous empêche d’exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les enfermer à part, les animaux malades ; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur donnons une nourriture spéciale ; nous ne leur permettons ni de respirer l’air trais, ni de se nourrir de l’herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez dire : J’ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C’est contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l’ai pas lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l’Église et vous ignorez un point de cette importance !
5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d’un tel prétexte, le prêtre debout en un lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d’un ton terrible-; vous l’entendez au milieu d’un silence redoutable appeler d’une voix forte les uns, et repousser les autres : c’est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s’expriment plus clairement, plus nettement qu’une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu’il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n’avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu’un qui accuse tel candidat d’être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or, ces combats n’ont rien pour l’esprit, le cœur ni les mœurs ; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s’agit entièrement d’un combat de l’âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience ; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu’un pour accuser cet homme ? Mais, écoutez ; est-il quelqu’un qui s’accuse lui-même ? Car lorsqu’il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d’équivalent : Arrière celui qui n’est pas saint ! Il faut, dit-il, non seulement être pur de péchés, mais être saint. La délivrance et – le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier ; il faut encore là présence de l’Esprit-Saint, et l’abondance des bonnes œuvres. Je vous veux, ajoute-t-il, non seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s’arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain R. brillent par la beauté de leur âme, que l’or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu’ils aient parure d’or et ceinture de vérité. Qu’il approche le chrétien ainsi disposé, qu’il trempe ses lèvres au royal breuvage !
Mais s’il en est un, couvert de haillons, souillé d’ordure, et qu’il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l’attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l’enfer ne suffit pas, bien qu’il soit éternel, (il n’est éternel, en effet, que parce qu’il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n’est point valide, mais impuissante.
Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j’entends ceux qui ont le cœur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l’âme est élevée ; je leur demande surtout un œil du cœur, doux et pacifique, un œil pénétrant et vif, sévère et attentif, et non pas somnolent et paresseux ; un œil libre et franc, mais non point hardi ni présomptueux ; un œil vigilant et fort, ennemi de la tristesse exagérée autant que d’une gaieté folle et dissipée. L’œil de notre cœur avec toutes ses vertus, sera notre œuvre ; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard très beau et très-pénétrant. Évitons d’exposer cet organe de la vue à la fumée et à la poussière, image trop vraie de toutes les choses humaines ; nourrissons-le d’air pur et vif ; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes, à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants : bientôt nous l’aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant dans ces perspectives enchanteresses.