Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/550

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pourquoi le dites-vous, enfin ? Pourquoi le répétez-vous ? Pourquoi à force d’en répandre le bruit, rendez-vous le fait croyable ? Pourquoi colporter un mensonge ? Vous n’y croyez pas, et vous demandez que Dieu vous épargne son redoutable examen ? Ah ! plutôt, ne dites rien, taisez-vous, et alors seulement soyez rassuré.
4. Je ne sais vraiment comment cette maladie a pu envahir les hommes. Non, nous ne sommes que des comédiens ; nous ne savons rien garder dans notre âme. Écoutez l’avis du Sage : « Avez-vous entendu un bruit fâcheux ? qu’il meure dans votre sein ; ne craignez pas ; votre cœur n’en crèvera point ! » Et ailleurs : « L’insensé a entendu une parole ; il est en travail pour la redire, comme la femme qui enfante ». (Sir. 19,10-11) Nous sommes si prompts à l’accusation, si disposés à condamner ! Ah ! quand nous n’aurions pas commis d’autre péché, celui-là suffirait pour nous perdre et nous conduire en enfer. Il nous enveloppe, il nous jette dans un réseau inextricable de fautes sans nombre.
Pour mieux l’apprécier, écoutez le Prophète : « Tu t’asseyais pour parler contre ton frère ». (Ps. 49,20) – Mais ce n’est pas moi, dites-vous, c’est cet autre. – Non, c’est vous autant que lui. Car si vous n’aviez rien dit, il n’aurait rien appris. Et dût-il même l’apprendre d’ailleurs, au moins ne seriez-vous pas coupable de péché, lorsque votre devoir est de couvrir et de cacher les fautes du prochain. Mais vous, sous prétexte d’aimer la vertu, vous les révélez, et vous êtes moins un accusateur, qu’un hypocrite, un homme en délire, un insensé. Triste habileté ! vous vous couvrez de honte autant que votre victime, et vous ne le sentez même pas !
Or, voyez que de maux découlent d’une seule faute ! Vous irritez Dieu, vous désolez votre prochain, vous vous rendez digne de l’éternel supplice. N’entendez-vous pas ce que Paul dit ait sujet des veuves : « Non-seulement elles sont curieuses et veulent tout savoir ; mais encore intarissables de la langue et des yeux, elles courent les maisons, et disent ce qui ne convient pas ». (1Tim. 5,13) C’est pourquoi, lors même que vous croiriez ce que l’on dit contre votre frère, vous n’avez pas même dans ce cas le droit d’en parler ; à plus forte raison, si vous n’y croyez pas.
Ah ! plutôt, étudiez ce qui vous regarde ; tremblez que Dieu ne vous examine. Car ici vous ne pouvez me répondre : Est-ce que Dieu m’examinera pour des bagatelles ? – Je le veux, ce sont des riens ; mais pourquoi les colportez-vous ? Pourquoi grossir le mal ? Cette conduite peut nous perdre ; et c’est pourquoi Jésus-Christ disait : « Ne jugez pas, pour que vous ne soyez pas jugés ». Mais nous ne tenons pas compte même du divin Maître. La punition du pharisien ne nous corrige pas, et ne nous rend ni plus modestes ni plus réservés. Il disait avec vérité, cet orgueilleux : « Je ne suis pas semblable à ce publicain ! » et il le disait sans témoin, et il fut cependant condamné. Si énonçant un fait véritable, et l’énonçant loin de toute oreille étrangère, il fut pourtant condamné ; qu’adviendra-t-il à ceux qui vont répétant partout des mensonges, dont ils n’ont aucune preuve, pareils en cela à des femmes frivoles et loquaces ? Quel ne sera pas leur châtiment, leur juste punition ?
Mettons désormais une porte et une serrure à notre bouche. Ces riens dangereux engendrent des maux sans nombre ; des familles sont bouleversées, des amitiés brisées ; des misères infinies en résultent. O homme ! n’examinez point curieusement les affaires de votre prochain. – Mais vous êtes bavard, c’est votre maladie ? – Parlez de vos affaires à Dieu ; ce ne sera plus un vice et un danger pour vous, mais un avantage. Racontez-les à vos amis, aux hommes justes, à ceux qui possèdent votre confiance, afin qu’ils prient pour vos péchés. Si vous parlez des faits et gestes du prochain, loin d’y gagner, loin d’en profiter, vous êtes perdu. Si Dieu est notre confident pour tout ce qui vous regarde, vous amasserez une belle récompense. « Je l’ai dit », chantait le Psalmiste : « J’accuserai contre moi-même et à Dieu toutes mes iniquités ! Et vous, Seigneur, vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ! » Vous voulez juger ? Jugez vos œuvres. Personne ne vous accusera plus, si vous vous condamnez vous-même ; mais on vous accusera, si vous ne vous jugez pas. Oui, l’on vous accusera si vous ne faites pas votre aveu ; on vous accusera si vous n’avez pas de repentir. Voyez-vous quelqu’un s’irriter, s’emporter, commettre quelque péché grave et indigne ? Pensez aussitôt à vos propres actions ; ainsi vous ne le condamnerez pas sévèrement, et vous vous épargnerez un faix énorme de péchés.
Si nous réglons ainsi notre vie, si nous l’occupons de la sorte, si nous prononçons nous-mêmes notre condamnation, nous ne commettrons peut-être que bien peu de péchés ; tandis que celte douceur, cette réserve nous enrichira d’actions honnêtes et glorieuses, et nous fera jouir de tous les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous les conquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père, dans l’unité du Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.