Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/556

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de ses foyers, et sortit sans savoir où il allait. Et qui s’étonnera du sort fait au père, lorsque ses fils habitèrent le monde aux mêmes conditions que lui ? Il ne vit pas s’accomplir la promesse, et toutefois ne se découragea point ; Dieu avait dit : « Je te donnerai cette terre, et à ta postérité ». (Gen. 12,7) Abraham vit son fils toutefois y habiter précairement ; le petit-fils à son tour séjourna sur une terre étrangère, sans se troubler davantage. Abraham, pour sa part, pouvait s’attendre à cette vie nomade, puisque la promesse, embrassant sa postérité, ne devait à la rigueur avoir sa réalisation que dans l’avenir. Encore est-il vrai de dire que la promesse s’adressait aussi à lui : « A toi et à ta postérité », disait-elle, non pas à toi dans la personne de tes enfants, mais à toi et à eux. Et toutefois ni lui, ni Isaac, ni Jacob ne recueillirent le fruit de cette promesse. Jacob servit comme mercenaire ; Isaac dut subir plus d’un exil ; Abraham sortit de cette terre promise, d’où la crainte le chassait, il lui fallut recouvrer ses biens à main armée ; et il eût, d’ailleurs, perdu tout ce qu’il avait, si Dieu ne l’eût secouru. Cela vous explique pourquoi saint Paul a dit : « Abraham, et ceux qui devaient être avec lui héritiers de la promesse » ; et il marque mieux encore cette communauté de leurs épreuves, en ajoutant : « Tous ces saints moururent dans la foi, sans avoir reçu les biens que Dieu leur avait promis ».
Deux questions se présentent naturellement à résoudre ici. Comment, après avoir dit que Dieu enleva Enoch, pour qu’il ne vit pas la mort, de sorte qu’on ne le trouva plus, l’apôtre ajoute-t-il ensuite : « Tous ces saints mouraient ? » Second problème : « Sans recevoir l’effet des promesses », dit-il ; et cependant il déclare que Noé reçut comme récompense le salut de sa famille, qu’Enoch fut enlevé de ce monde, qu’Abel parle encore ; qu’Abraham reçut une terre ; ce qui ne l’empêche pas de conclure que tous ces saints moururent sans avoir reçu l’effet des promesses de Dieu. Quelle est donc la pensée de saint Paul ? Il faut résoudre ces questions l’une après l’autre. « Tous », dit-il, « sont morts dans leur foi » ; l’expression « tous », ici, n’est pas absolue dans ce sens que pas un n’ait échappé à la mort ; elle signifie seulement, qu’à une exception près, tous en effet l’ont subie, tous ceux dont nous savons le trépas. Quant à la réflexion : « Sans avoir reçu « l’effet des promesses », elle est vraie de tout point ; la promesse faite à Noé, n’embrassait pas un lointain avenir.
2. Mais quelles sont les promesses de Dieu ? Isaac, en effet, et Jacob après lui, ont eu jusqu’à un certain point les promesses de la terre. Mais Noé, Enoch, Abel, quelles promesses virent-ils se réaliser ? C’est donc de ces trois derniers que l’apôtre dit qu’ils n’ont rien reçu. Et si même on veut qu’il leur attribue quelque récompense, n’en était-ce pas une que cette gloire dont Abel hérita, que cet enlèvement dont Enoch fut l’objet, que ce miracle par lequel Noé fut sauvé ? Mais tout ce bonheur, loin de remplir les engagements de Dieu, n’était qu’un faible salaire de leurs vertus, et comme un avant-goût des récompenses à venir. Dieu, en effet, dès l’origine du monde, se vit comme forcé, dans l’intérêt du genre humain, à se mettre à la portée des hommes, et à leur donner non seulement l’avenir, mais quelques biens présents. C’est dans le même dessein que Jésus-Christ disait à ses disciples : « Celui qui aura quitté maison, frères, sœurs, père et mère, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle ». Et ailleurs : « Cherchez le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Mt. 19,29 et 6, 33) Voyez-vous comment il nous donne ce faible surcroît, afin de ne pas nous décourager ? Ainsi les athlètes, pendant la durée de la lutte, reçoivent quelques rafraîchissements ; mais ils ne jouissent d’une trêve absolue et d’un repos complet que plus tard, lorsqu’ils ne vivent plus sous le régime, et qu’ils ont enfin droit à toute jouissance. Dieu aussi donne un peu en ce monde ; mais l’entier accomplissement de ses promesses est réservé à la vie future ; et saint Paul, pour nous enseigner cette vérité, s’est exprimé en ces termes : « Ces saints ne voyant et ne saluant que de loin les promesses divines ». Il nous fait entendre ici une réalisation mystérieuse de leurs vœux ; c’est-à-dire que ces saints ont reçu tout ce que Dieu leur annonçait pour l’avenir : la résurrection, le royaume des cieux et tous les biens que Jésus-Christ venant en ce monde nous a prêchés : voilà, selon l’apôtre, les vraies promesses. Tel est donc le sens de ce passage ; ou peut-être signifie-t-il seulement que sans avoir encore reçu tout l’effet des promesses divines, du moins ils sont partis de ce monde avec la confiance et la certitude de les recueillir. Or, la foi seule a pu leur suggérer cette confiance, puisqu’ils ne virent que de loin, selon saint Paul, les réalités même terrestres, dont quatre générations d’hommes les séparaient. Car ce n’est qu’après ce nombre écoulé de générations, qu’ils sortirent enfin de l’Égypte. Mais ils saluaient ces espérances, dit-il, et ils se réjouissaient. Telle était leur intime persuasion de cet avenir, qu’ils le saluaient : métaphore empruntée aux navigateurs, qui aperçoivent de loin le port désiré, et qui avant même d’entrer dans les eaux d’une ville cherchée longtemps, appellent cette cité et l’ont déjà conquise dans leurs désirs. « Ils attendaient, en effet, la cité bâtie sur un ferme fondement, et dont le fondateur et l’architecte est Dieu lui-même (10) ». Vous voyez que, pour ces grands saints, « recevoir », c’était seulement attendre, espérer avec pleine confiance. Si donc avoir confiance, c’est avoir reçu déjà, nous pouvons, nous aussi, recevoir. Bien que non encore en possession, ils voyaient déjà, par le désir, les promesses remplies. Pourquoi tous ces faits allégués ? Pour nous donner une sainte honte à nous : car ces patriarches avaient des promesses pour ce monde même, mais ils n’y prêtaient point attention et cherchaient la cité à venir ; tandis que nous, à qui Dieu ne cesse de parler de la cité d’en haut, nous cherchons celle d’ici-bas. Dieu leur a dit à eux : Je vous donnerai les biens présents. Mais bientôt il les a vus, ou plutôt eux-mêmes