Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/141

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XXXV. Vous avez été la dupe de cette confiance dans beaucoup d’occasions ; car vous avez toujours pensé, surtout en Sicile, qu’il vous suffirait, pour votre sûreté, d’empêcher que certaines choses ne fussent écrites sur les registres publics, ou de les faire disparaître quand elles s’y trouvaient. Quoique vous ayez appris dans la première action, par l’exemple de plusieurs cités de Sicile, combien cette précaution est vaine, apprenez-le encore par l’exemple de Milet. Les Milésiens obéirent, il est vrai, aux magistrats, tant que ceux-ci furent présents ; mais les voyant partis, ils inscrivirent sur les registres non seulement ce qu’on leur avait défendu de rapporter, mais encore la raison qui les avait empêchés de l’écrire plus tôt. Ces registres sont à Milet ; ils y sont et ils y seront tant que subsistera cette ville. En effet, les Milésiens avaient construit, d’après les ordres de L. Muréna, dix navires à compte sur la contribution qu’ils doivent au peuple romain, comme l’avaient fait les autres cités de l’Asie, chacun suivant le nombre qu’elles avaient à fournir. Ayant perdu un de ces dix navires, non par une attaque soudaine de pirates, mais par le brigandage du lieutenant ; non par la violence d’une tempête, mais par la cupidité de cet homme, cupidité plus désastreuse que la tempête pour nos alliés ; ils en ont dressé procès-verbal sur leurs registres. Les députés de Milet sont à Rome. Ce sont les citoyens les plus nobles et les premiers de leur ville ; et bien qu’ils attendent avec terreur le mois de février et le nom des consuls désignés, ils ne pourront nier un fait si grave lorsqu’ils seront interrogés, encore moins le taire lorsqu’ils paraîtront ; ils déclareront, dis-je, par respect pour la religion du serment, et pour les lois de leur pays, ce qu’on a fait de ce brigantin ; ils montreront que C. Verrès en a usé comme un pirate à l’égard d’une flotte construite contre les pirates.

XXXVI. À la mort de C. Malléolus, questeur de Cn. Dolabella, Verrès crut voir arriver pour lui deux successions : d’abord une questure, car Dolabella le fit aussitôt son proquesteur ; puis, une tutelle : se trouvant tuteur du jeune Malléolus, il se hâta d’usurper les biens de son pupille. En effet, le père, en partant pour sa province, avait emporté presque toutes ses richesses ; il ne laissait presque rien chez lui ; il avait encore placé dans différentes villes de l’argent dont il avait des billets ; enfin il avait fait venir toute son argenterie, qui était fort belle ; car il partageait avec Verrès, son ami, ce goût ou plutôt cette passion. Il laissait donc beaucoup d’argent comptant, une maison considérable, et de nombreux esclaves, remarquables les uns par leurs talents, les autres par leur beauté. Celui-ci prit tout l’argent qu’il voulut, emmena les esclaves qui lui plaisaient, fit porter chez lui les vins et les autres objets qu’on se procure aisément en Asie, vendit le reste et s’en fit bien payer. Quoiqu’il fut constant qu’il avait réalisé jusqu’à deux millions cinq mille sesterces, de retour à Rome, il n’en remit aucune reconnaissance ni au pupille, ni à la mère, ni aux tuteurs : ceux des esclaves de son pupille qui avaient des talents, étaient employés dans sa maison ; ceux qui avaient de la figure ou de l’instruction, étaient attachés au service de sa personne ; il disait qu’ils lui appartenaient, qu’il les avait achetés. L’aïeule et la mère le pressant, puisqu’il ne vou-