Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/183

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destinés à Vénus Érycine seront pris sur les biens de Sthénius ! et il commence aussitôt la vente de ses biens. Il les aurait vendus, pour peu qu’on eût tardé à lui compter cette somme. Lorsqu’elle lui fut comptée, il ne s’en tint pas à cette iniquité ; il annonce publiquement, du haut de son tribunal, que si l’on voulait accuser Sthénius, absent, de crime capital, il recevrait la dénonciation. En même temps il presse Agathinus, son nouvel hôte, son nouvel allié, de se présenter et de faire la dénonciation. Celui-ci répond à haute voix, devant tout le monde, qu’il n’en fera rien, qu’il n’est pas ennemi de Sthénius au point de l’accuser d’un crime capital. En ce moment, un certain Pacilius, homme pauvre et sans consistance, s’approche tout à coup ; il veut, dit-il, si on le lui permet, dénoncer Sthénius absent. Verrès répond que cela est permis, que c’est l’usage, et qu’il recevra la dénonciation. Sthénius est donc dénoncé. Aussitôt le préteur décrète qu’aux calendes de décembre Sthénius ait à se trouver à Syracuse. Celui-ci, qui était arrivé à Rome, après une navigation assez heureuse dans une saison contraire ; après avoir trouvé les éléments plus propices et plus doux que l’âme du prêteur, son hôte, apprend son malheur à ses amis. On trouve ce malheur atroce, immérité, comme il l’était en effet.

XXXIX. Les consuls Cn. Lentulus et L. Gellius en parlent aussitôt dans le sénat ; ils proposent de décréter, si les sénateurs le trouvent bon, que, dans les provinces, nul ne puisse être, en son absence, accusé de crime capital. Quant à la cause entière de Sthénius, à la cruauté et à l’iniquité de Verrès, ils en instruisent l’assemblée. Parmi les sénateurs siégeait Verrès, le père du préteur ; les larmes aux yeux, il priait chacun de ses collègues d’épargner son fils. Cependant ses prières ne faisaient pas grande impression : la volonté du sénat était arrêtée. Les avis étaient que Sthénius ayant été accusé en son absence, on n’avait du rendre contre lui aucun jugement ; que s’il en avait été rendu, il ne devait pas être ratifié. Ce jour-là on ne put rien terminer, à cause de l’heure avancée ; le père de Verrès, ayant trouvé des sénateurs pour consumer le temps en discours. Ensuite ce vieillard va trouver tous les défenseurs et tous les hôtes de Sthénius ; il les assure qu’il aura soin que son fils ne lui fasse aucun mal ; dans ce but, il enverra des hommes sûrs en Sicile par terre et par mer. Un intervalle de trente jours séparait encore des calendes de décembre, jour que Verrès avait fixé pour que Sthénius eût à se trouver à Syracuse. Les amis de Sthénius se laissent émouvoir ; ils espèrent que les lettres et les représentations d’un père détourneront son fils du parti insensé où il s’est engagé. Au sénat, on ne parle plus de cette affaire. Des courriers envoyés à Verrès lui apportent une lettre de son père avant les calendes de décembre, lorsque l’affaire de Sthénius n’était pas encore entamée ; en même temps, et pour le même objet, il reçoit une multitude de lettres d’un grand nombre de ses amis et de ses parents.

XL. Verrès, qui ne sacrifia jamais sa passion à son devoir, ni à son péril, ni à la tendresse filiale,