Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/243

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d’arpents ; un Artémidore Cornélius n’était pas commissaire ; un magistrat sicilien ne forçait pas les cultivateurs de donner tout ce qu’exigeait le décimateur ; on ne demandait pas au décimateur, comme un bienfait, qu’il fût permis de transiger pour trois médimnes par arpent ; les cultivateurs n’étaient pas contraints de donner un surcroît d’argent, ni d’ajouter trois cinquantièmes de blé et, malgré cela, on en envoyait une grande quantité au peuple romain.

L. Mais que veulent dire ces cinquantièmes de blé et ces surcroîts d’argent ? Quel droit, quel exemple vous autorisait à les demander ? Un cultivateur donnait de l’argent : comment cela ? où le prenait-il ? S’il eût voulu se montrer plus généreux, il eût fait meilleure mesure, comme cela se pratiquait dans les dîmes, lorsqu’on les affermait suivant les règles et avec équité. Il donnait de l’argent ! Sur quoi le prenait-il ? Sur son blé, comme s’il en eût eu à vendre sous la préture de Verrès. Il lui fallait donc couper dans le vif pour ajouter aux autres gains d’Apronius cette gratification pécuniaire. Et cette gratification, les contribuables la faisaient-ils volontiers ou malgré eux ? Volontiers ? Oui, sans doute, ils chérissaient Apronius. Malgré eux ? Qu’est-ce qui les forçait, sinon la violence et les mauvais traitements ? Ce préteur insensé, en affermant les dîmes, ajoutait à chaque dîme, par surcroît, une somme d’argent : la somme n’était pas bien considérable ; il ajoutait deux ou trois mille sesterces. Cela fait peut-être, pendant trois ans, cinq cent mille sesterces. Aucun exemple, aucune loi, je le répète, ne l’y autorisait. Cet argent n’a pas été remis au trésor, et personne n’imaginera un moyen de justifier Verrès de cet attentat, si léger qu’il soit, à côté de tant d’autres.

Après cela, vous osez dire que vous avez porté très haut l’adjudication des dîmes, lorsqu’il est évident que vous avez adjugé les biens et les fortunes des laboureurs à votre profit, et non au profit du peuple romain ! C’est comme si un économe, dans une terre qui rapporterait dix mille sesterces[1], après avoir coupé et vendu les arbres, enlevé les couvertures, engagé les troupeaux et les instruments de labourage, envoyait à son maître vingt mille sesterces[2], au lieu de dix mille, et en faisait cent mille[3] pour lui. D’abord le maître, ignorant le dommage, se réjouirait, serait enchanté de son économe, parce qu’il aurait doublé le produit de sa terre ; ensuite, quand il apprendrait qu’il a détourné et vendu les effets nécessaires pour la culture et la récolte, il verrait bien qu’il a été mal servi, et punirait le coupable. Ainsi, lorsque le peuple romain apprend que Verrès a porté les dîmes plus haut que Sacerdos, ce préteur intègre auquel il a succédé, il croit qu’il a eu un bon surveillant, un excellent économe pour ses terres et pour ses récoltes ; mais lorsqu’il s’apercevra que Verrès a vendu tous les instruments des cultivateurs, toutes les ressources des impositions ; que, par sa cupidité, il a ruiné toutes les espérances pour l’avenir, qu’il a épuisé et ravagé toutes les campagnes tributaires, qu’il a fait pour lui-même des profits immenses et amassé un butin énorme ; il verra qu’il a été fort mal servi, et jugera le préteur digne du plus rigoureux châtiment.

LI. Voulez-vous donc en juger ? considérez

  1. 1,250 liv.
  2. 2,500 liv.
  3. 12,500 liv. A.