Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/244

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ce résultat : les terres sujettes aux dîmes dans notre province de Sicile sont désertes, grâce à la cupidité de Verrès ; et non seulement ceux qui sont restés dans les campagnes labourent avec moins de charrues, mais une infinité d’hommes riches, agriculteurs actifs et industrieux, ont abandonné des territoires tout entiers, de grands et fertiles domaines. C’est ce que prouveront aisément les registres publics, puisque, d’après la loi d’Hiéron, les magistrats des villes font, tous les ans, un nouveau recensement des cultivateurs. Greffier, lisez combien Verrès a trouvé de cultivateurs sur le territoire de Léontini. — Quatre-vingt-trois. — Combien ont donné leurs noms la troisième année ? — Trente-deux. — Voilà donc cinquante et un cultivateurs dépossédés, sans que d’autres les aient remplacés. Combien y avait-il, à votre arrivée, de cultivateurs dans le territoire de Mutyca ? voyons-le d’après les registres publics. — Cent quatre-vingt-huit. — Et la troisième année ? — Cent un. — Vos vexations, Verrès, ont enlevé quatre-vingt-sept cultivateurs à un seul territoire, ou plutôt à notre république, qui réclame et redemande tous ces pères de famille, puisque ce sont là les revenus du peuple romain. Il y avait, la première année, dans le territoire d’Herbite, deux cent cinquante-sept cultivateurs ; cent vingt la troisième : ainsi, cent trente-sept pères de famille se sont enfuis des campagnes. De quels hommes riches et recommandables n’était point rempli le territoire d’Agyrone ? On y comptait deux cent cinquante cultivateurs la première année de votre préture ; et la troisième, quatre-vingts, comme vous l’avez entendu des députés d’Agyrone, qui vous ont lu les registres de leur ville.

LII. Au nom des dieux, je vous le demande, Verrès, si vous eussiez fait enfuir de toute la province cent soixante et dix cultivateurs, pourriez-vous être absous par des juges sévères ? Et lorsqu’il s’en trouve cent soixante et dix de moins dans le seul territoire d’Agyrone, ne jugerez-vous point par là, Romains, de toute la province ? Oui, vous trouverez la même désolation dans tous les territoires sujets aux dîmes. Les agriculteurs, à qui il est resté quelque portion d’un ample patrimoine, sont demeurés dans les campagnes, ont labouré avec moins d’instruments et de charrues ; ils craignaient, en se retirant, de voir périr le reste de leur fortune : ceux à qui Verrès n’avait rien laissé à perdre, se sont enfuis et de leurs campagnes et de leurs villes. Ceux même qui étaient restés, formant à peine la deuxième partie des agriculteurs, auraient abandonné toutes leurs terres, si Métellus ne leur eût écrit de Rome qu’il affermerait les dîmes d’après la loi d’Hiéron, et s’il ne les eût priés d’ensemencer le plus de terres qu’ils pourraient ; ce qu’ils avaient fait toujours pour leur propre avantage, sans que personne les en priât, tant qu’ils voyaient que c’était pour eux et pour le peuple romain, non pour un Verrès et pour un Apronius, qu’ils semaient, qu’ils dépensaient, qu’ils travaillaient. Si donc, Romains, vous êtes indifférents sur le sort de la Sicile, si vous vous inquiétez peu de la manière dont les alliés de Rome sont traités par nos magistrats, soutenez du moins et défendez la cause commune, la cause de cet empire. Je dis qu’on a fait déserter les cultivateurs,