Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/495

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dons-nous de nous écarter des lois. Songeons quelle trahison ce serait envers le peuple romain : ce peuple en ce moment s’occupe d’autres pensées ; c’est à vous qu’il a confié le maintien de ses droits civils et politiques ; lui-même est sans alarmes, il n’appréhende pas de se voir, par un simple arrêt, asservi à des lois qu’il n’a pas faites, à une juridiction dont il se croit affranchi. Titus Attius, jeune homme dont j’honore le caractère et le talent, soutient que toutes les lois obligent également tous les citoyens. Vous, silencieux et attentifs, vous l’écoutez ainsi que vous devez le faire. Aulus Cluentius, chevalier romain, est accusé aux termes d’une loi qui n’oblige que les sénateurs et ceux qui ont été magistrats. Moi, retenu par lui, je ne puis faire valoir cette exception, et chercher dans la loi des armes qui assureraient à ma défense un facile triomphe. Si Cluentius sort vainqueur de cette lutte (comme votre équité nous en donne l’espoir), on pensera justement qu’il doit ce succès à son innocence, puisque c’est ainsi qu’il a été défendu, mais qu’il n’a trouvé aucun appui dans la loi, puisqu’il n’a pas voulu y recourir. Ici, comme je l’ai déjà dit, se présente une réflexion qui m’intéresse personnellement, et qui me rappelle ce que je dois au peuple romain, puisque ma vie est consacrée à mes concitoyens, et que mes soins officieux sont offerts également à tous les accusés. Je vois quelle extension dangereuse et sans bornes les accusateurs veulent donner à ce genre de procès, en essayant de soumettre le peuple romain tout entier à une loi faite exclusivement pour les sénateurs. Cette loi dit : CELUI QUI AURA CABALÉ… Vous voyez toute la portée de ce terme : — SE SERA LIGUÉ… ceci est encore vague et général : — AURA FAIT UN ACCORD.., cette expression, vague et générale comme la précédente, est de plus obscure et équivoque. — AURA PORTÉ UN FAUX TÉMOIGNAGE… quel citoyen romain a jamais déposé en justice, qui n’ait à craindre, d’après le système d’Attius, de se voir poursuivi comme faux témoin ? Je dis, a déposé : car j’ose affirmer que personne ne déposera plus à l’avenir, si le peuple romain est menacé de ces injustes poursuites. Mais non ; j’en prends ici l’engagement solennel : s’il est un homme qui soit recherché à ce titre, parmi ceux qui ne sont pas compris dans la loi, et qu’il veuille me charger de sa défense, je ferai valoir en sa faveur les moyens que fournit cette loi ; je ferai triompher sa cause devant les juges qui m’écoutent, ou devant ceux qui leur ressembleront ; j’userai, dans toute son étendue, d’un privilège que celui dont je dois respecter la volonté ne me permet pas d’invoquer aujourd’hui.

LVIII. Oui, juges, il ne m’est pas permis d’en douter : si jamais on citait devant vous un citoyen que la loi n’eût pas fait votre justiciable, fût-il poursuivi par la clameur publique et les ressentiments particuliers, vous fût-il odieux à vous-mêmes, dussiez-vous, pour l’absoudre, vous faire la plus pénible violence, vous l’absoudriez pourtant, et vous ne balanceriez pas entre la haine et le devoir. En effet, un juge éclairé par la sagesse doit songer que ses pouvoirs sont limités par la nature de son mandat et l’intention du peuple romain ; qu’il a reçu une mission de confiance non moins que d’autorité ; qu’il peut absoudre l’accusé qu’il hait, condamner celui qu’il ne hait pas ; que sa volonté personnelle n’est rien, quand la cons-