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SECOND DISCOURS.
SUR LA LOI AGRAIRE,
CONTRE RULLUS, DEVANT LE PEUPLE.

DISCOURS SEIZIÈME.


ARGUMENT.

Le discours de Cicéron dans le sénat, l’effet qu’il produisit sur cette assemblée, étonnèrent tellement les tribuns, qu’ils n’osèrent, au rapport de Plutarque, ni rien répondre, ni rien objecter. Toutefois Rullus appela le consul devant le peuple, et Cicéron, qui n’eut pas d’ailleurs attendu cet appel, vint, suivi du sénat tout entier, combattre les projets de Rullus, en présence des Romains, et attaquer une loi qui avait pour le peuple le double attrait de lui rappeler le souvenir encore cher des Gracchus, et de le flatter de l’espérance d’un bien-être dont il ne soupçonnait pas la chimère.

Cicéron commence par déclarer qu’il veut être un consul populaire, mais il avertit que ce mot a besoin d’explication ; et, après en avoir démêlé les différents sens, après avoir découvert les secrètes intrigues des tribuns et leurs desseins ambitieux, il proteste qu’il ne blâme pas la loi tout entière ; mais que si les Romains, lorsqu’ils l’auront entendu, ne reconnaissent pas que cette loi, sous un dehors flatteur, porte atteinte à son repos, à sa liberté, il est prêt à y donner son assentiment. Puis il examine la loi, laquelle renfermait au moins quarante articles, puisque dans le discours suivant, chap. 2, il est parlé d’un article quarantième. Il critique la manière de nommer les decemvirs, ou les exécuteurs de la loi, l’appareil et l’étendue de leur pouvoir, la faculté qu’ils s’arrogent de recevoir l’argent du trésor, et d’en disposer à leur guise ; leur intention surtout de partager le territoire de la Campanie, point sur lequel il s’arrête longtemps, pour faire voir ce qu’on aurait à craindre d’une colonie établie à Capoue. Il récapitule ensuite ses moyens avec autant de vivacité qu’il a mis d’éloquence et d’adresse à les développer, et conclut en annonçant sa ferme et courageuse résolution de s’opposer aux projets pernicieux des tribuns, et de veiller, de concert avec son collègue (C. Antonius), à la tranquillité et au bonheur de ses concitoyens.


I. Romains, c’est un usage institué, admis par nos pères, que ceux qui doivent à votre bienveillance le privilège de transmettre leurs images à leurs familles, ne parlent la première fois devant vous que pour joindre à l’expression de leur reconnaissance l’apologie de leurs aïeux. S’il s’en trouve quelques-uns qui n’ont pas dégénéré, l’unique avantage des autres est de faire voir que, de la dette par vous contractée envers leurs ancêtres, une partie restait encore à payer à leurs descendants. Pour moi, Romains, je ne puis vous parler de mes aïeux, non qu’ils aient été différents de ce que vous nous voyez nous-mêmes, nous issus de leur sang et formés par leurs exemples ; mais ils n’ont connu ni le prix de la popularité, ni l’hommage éclatant de vos honneurs. En ce qui me touche personnellement, je crains qu’il n’y ait de l’orgueil à vous en parler, de l’ingratitude à m’en taire. Car, raconter moi-même par quel effet de votre zèle j’ai mérité l’honneur du consulat, est une entreprise extrêmement délicate ; et garder le silence sur d’aussi grands bienfaits que les vôtres, m’est absolument impossible. Je les rappellerai donc avec mesure, avec sobriété ; je dirai en peu de mots, puisque cet aveu est nécessaire, à quel titre je me crois digne de la position élevée que vous m’avez faite, et d’un témoignage de confiance aussi extraordinaire ; et vous, Romains, qui m’avez déjà jugé, vous allez, je pense, me juger encore.

Depuis un grand nombre d’années, depuis une époque dont la mémoire est presque perdue, je suis le premier homme nouveau que vous voyez promu au consulat ; et ce poste, dont la noblesse s’était assuré la possession exclusive, dont elle tenait fermées toutes les avenues, vous l’avez conquis à votre tour pour m’y placer à votre tête, et pour le rendre désormais accessible au mérite. Non seulement vous m’avez fait consul, faveur