Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/714

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de chefs ; que parmi les magistrats, les uns m’attaquaient, les autres me trahissaient, d’autres m’abandonnaient ; qu’on enrôlait des esclaves sous prétexte de former de nouvelles corporations ; que toutes les troupes de Catilina embrassaient de nouveau, et presque sous les mêmes chefs, l’espoir des meurtres et des incendies ; voyant les chevaliers romains craindre une proscription ; les villes d’Italie, le ravage ; tous, les massacres : je pouvais bien, pères conscrits, oui, je pouvais, d’après le conseil des premiers citoyens, me défendre par la force et par les armes ; et je ne manquais point de ce courage dont les preuves ne vous sont pas inconnues : mais je ne le voyais que trop, si j’avais vaincu alors mon adversaire, j’en aurais eu beaucoup d’autres à vaincre ; si j’avais succombé, une infinité de gens de bien auraient péri pour moi, avec moi, et même après moi ; il y avait des hommes prêts à venger aussitôt le sang d’un tribun, au lieu que la vengeance de ma mort devait être renvoyée à un jugement et à l’avenir.

XIV. Après avoir, pendant mon consulat, défendu la patrie sans tirer l’épée, je n’ai pas voulu, simple particulier, me défendre par les armes ; et j’ai mieux aimé exposer les gens de bien à déplorer mon sort, que de les plonger dans le désespoir. Quelle honte pour moi, si j’eusse péri seul ! quelle calamité pour la république, s’il en eût péri d’autres avec moi ! Si j’avais pensé que ma disgrâce dût n’avoir aucun terme, je me serais arraché la vie plutôt que de me condamner à une douleur éternelle. Mais comme je voyais que je ne serais pas absent de cette ville plus longtemps que la république elle-même, je n’ai pas cru devoir rester lorsqu’elle était bannie ; et elle m’a ramené avec elle dès qu’elle s’est vue rappelée. Les lois, la justice, les droits des magistrats, l’autorité du sénat, la liberté des citoyens, même la fertilité des campagnes, tout ce qu’il y a de plus saint dans la religion, tout ce qu’il y a de plus sacré pour les hommes, a été banni avec moi. Si ces principes du bonheur public avaient été éloignés sans retour, j’aurais moins regretté mes pertes que pleuré sur celles de la patrie ; mais je voyais que, s’ils devaient revenir, je reviendrais avec eux. Quand je parle ainsi, un témoin, que vous pouvez croire, est Cn. Plancius, qui fut alors le défenseur de ma personne ; Plancius, cet ami dévoué, qui, se dépouillant pour moi des honneurs de sa charge, et renonçant à ses propres intérêts, employa tout l’ascendant que lui donnait sa questure à me consoler et à me sauver. Si j’eusse été son général et lui mon questeur, je l’aurais regardé comme mon fils ; je le regarderai maintenant comme mon père, lui qui a partagé non pas ma puissance, mais ma douleur.

Ainsi donc, pères conscrits, puisque j’ai été rétabli dans la république avec la république, loin de rien diminuer de mon ancienne liberté pour la défendre, je redoublerai même de courage.

XV. En effet, si je l’ai défendue lorsqu’elle me devait quelque chose, que ferai-je à présent que je lui dois tout ? Qui pourrait abattre ou affaiblir le courage d’un homme dont la disgrâce même est une preuve et de son innocence, et des services insignes qu’il a rendus à la république ? car on ne m’a fait essuyer cette disgrâce que parce que j’avais défendu l’État, et je l’ai subie volontairement pour ne pas voir périr avec moi cette patrie que j’avais sauvée.

On n’a pas vu des fils dans la fleur de la jeu-