Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/758

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le jambage d’une porte, et abusé, pour consommer notre ruine, des paroles faites pour honorer les dieux immortels, la religion sanctifiera l’injustice ? et quand un tribun du peuple aura consacré, avec des paroles non moins antiques et solennelles, les biens d’un citoyen, cette confiscation sera sans effet ? C. Atinius, du temps de nos pères, consacra, sur la tribune aux harangues, ayant devant lui le petit foyer et le joueur de flûte, les biens de Q. Métellus qui, pendant sa censure, l’avait chassé du sénat. Q. Métellus, et vous, P. Servilius, ce Quintus était votre aïeul et le bisaïeul de P. Scipion. Quelles furent les suites de cette fureur du tribun ? Autorisée, néanmoins, par quelques exemples anciens, porta-t-elle le moindre préjudice au grand Métellus ? Non, sans doute. Nous avons vu le censeur Cn. Lentulus traité de même par un tribun du peuple : les biens de Lentulus en ont-ils été plus sacrés ? Mais pourquoi en citer d’autres ? Vous, oui, vous-même, on vous a vu la tête voilée, le peuple convoqué, le petit foyer devant vous, consacrer les biens de votre cher Gabinius, à qui vous aviez fait présent de tous les royaumes des Syriens, des Arabes et des Perses. Si cette consécration n’a pas eu d’effet, quel effet peut avoir celle de mes biens ? Si elle subsiste, pourquoi ce monstre insatiable, après avoir dévoré avec vous le sang de l’État, a-t-il encore épuisé le trésor pour élever jusqu’au ciel cette maison de Tusculum, tandis qu’il ne m’a pas été permis de jeter un seul regard sur mes ruines, à moi, sans qui Rome entière ne serait qu’un monceau de débris ?

XLVIII. Laissons Gabinius. Mais, à votre exemple, L. Mummius, le plus courageux et le plus vertueux des hommes, n’a-t-il pas aussi consacré vos biens ? Si vous prétendez que cette consécration est nulle parce qu’elle vous regarde, vous avez donc établi, dans votre admirable tribunat, une jurisprudence qui ne pût rien contre vous, et qui vous servît contre les autres ? Mais si cette consécration est légale, tous vos biens n’y sont-ils pas soumis ? Direz-vous qu’une consécration n’est d’aucun effet, mais qu’il en est autrement d’une dédicace ? Que signifiaient alors ce joueur de flûte, ce foyer sacré, ces prières, ces antiques formules ? Ne vouliez-vous que tromper, qu’en imposer, qu’abuser du pouvoir des dieux pour effrayer les hommes ? Si ce que vous avez fait subsiste, laissons Gabinius à part, votre maison du moins, tout ce que vous possédez appartient à Cérès : mais si ce n’était qu’un jeu, est-il un être plus impur que vous, qui avez souillé toutes les choses saintes, ou par vos impostures, ou par vos adultères ?

J’avoue aujourd’hui, dit-il, que j’ai commis un sacrilège à l’égard de Gabinius. Vous l’avouez parce que vous voyez retomber sur vous le mal que vous vouliez lui faire. Mais, ô modèle accompli d’impiété et de scélératesse ! ce que vous avouez de Gabinius, dont nous avons vu l’enfance impudique ; la jeunesse débordée ; toute la vie infâme et indigente ; le consulat, souillé de brigandages ; de ce Gabinius pour qui ce traitement même ne pouvait être injuste, le nierez-vous cet aveu quand il s’agit de moi ? et ce que vous avez fait