Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/224

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dit, et on se demande l’explication de chaque proposition qu’on avance. En voici un exemple : « Lorsque nos ancêtres condamnaient une femme pour un crime, ils la regardaient comme convaincue de plusieurs autres par un seul jugement. Pourquoi ? parce que la femme qu’ils avaient déclarée impudique, ils pensaient l’avoir reconnue, par cela même, coupable d’empoisonnement. Comment ? c’est qu’une femme qui s’est abandonnée à la plus honteuse des passions doit nécessairement craindre un grand nombre de personnes. Lesquelles ? son mari, ses parents, tous ceux sur lesquels elle voit que peut retomber la flétrissure de son déshonneur. Qu’en résulte-t-il ? c’est qu’il faut qu’elle empoisonne, de quelque façon que ce soit, ceux qu’elle redoute à ce point. Pourquoi ? c’est qu’aucun motif honnête ne peut retenir celle que l’énormité de sa faute intimide, que l’excès de sa passion rend audacieuse, et la faiblesse de son sexe, inconsidérée. Que pensaient-ils de la femme convaincue d’empoisonnement ? Ils pensaient qu’elle était infailliblement impudique. Et la raison ? c’est qu’il n’y a rien qui porte plus aisément à ce crime qu’un honteux amour et une passion effrénée. Ils ne croyaient pas qu’il fût possible à une femme dont l’âme était corrompue, de rester chaste. Pour les hommes, leur opinion était-elle la même ? nullement. Pour quel motif ? parce que chez les hommes chaque crime a son mobile dans une passion particulière ; chez les femmes, une seule les engendre tous. » Autre exemple : « Nos ancêtres ont sagement agi en n’ôtant jamais la vie à un roi que le sort des armes avait fait leur prisonnier. Pour « quoi ? parce qu’il est injuste d’user d’un avantage qui vient de la fortune pour traîner au supplice ceux qu’elle avait placés naguère au rang suprême. Mais n’a-t-il pas levé une armée contre vous ? je ne veux plus m’en souvenir. Pourquoi cette indulgence ? parce qu’il est digne d’un homme de cœur de regarder comme des ennemis ceux qui lui disputent la victoire, et comme des hommes, ceux qu’il a vaincus, afin de tempérer par sa grandeur d’âme les rigueurs de la guerre, et d’ajouter par son humanité aux douceurs de la paix. Mais si votre ennemi avait été vainqueur, aurait-il agi de même ? non sans doute ; il eût été moins sage. Comment donc lui, pardonnez-vous ? c’est que j’ai l’habitude de mépriser cette honteuse faiblesse, et non pas de l’imiter. » Cette figure produit un très grand effet, et soutient l’attention de l’auditeur autant par le charme qu’elle donne au style, que par l’attente des réponses.

XVII. La Sentence est une observation tirée fies circonstances de la vie, et présentant une courte leçon sur la manière d’apprécier chaque chose. Exemples : « Il est difficile à celui qui fut toujours heureux, de respecter la vertu. - Celui-là doit être regardé comme libre, qui n’est l’esclave d’aucune passion. - Celui qui n’a pas assez, et celui à qui rien ne suffit, sont également pauvres. - Il faut choisir le genre de vie le plus honnête ; l’habitude le fera trouver agréable. » Ces pensées si simples ne sont pas à dédaigner, parce que la brièveté de l’expression, lorsqu’il n’y a pas besoin de preuve, a beaucoup de charme. Mais il faut faire cas également de ce genre de sentences que l’on ap-