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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/246

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faire indiquer par le premier venu. - Venez, au reste, avec moi. Ceux-ci le suivent. Chemin faisant toute sa conversation accuse sa vanité ; il demande en quel état est la moisson, disant qu’il ne peut aller dans ses terres, parce que ses maisons de campagne ont été brûlées, et qu’il n’ose pas encore les faire rebâtir : j’ai cependant commencé, ajoute-t-il, à faire cette folie dans mon bien de Tusculum ; je reconstruis sur les anciens fondements. »

LI. « Tout en parlant de la sorte, il les amène dans une maison où doit avoir lieu ce jour-là même un banquet. Il en connaît le maître et y fait entrer les étrangers. C’est ici ma demeure, leur dit-il. Il voit l’argenterie sur la table, les lits préparés ; il en témoigne sa satisfaction. Un petit esclave s’avance, et lui dit tout bas que son maître va paraître, qu’il faut qu’il se retire. Allons, mes amis, suivez-moi ; mon frère arrive de Salerne, je vais à sa rencontre ; revenez ici à dix heures. Les étrangers sortent ; lui va se renfermer à la hâte dans sa maison. Les autres reviennent à l’heure qu’on leur a fixée, ils le demandent, ils apprennent alors à qui appartient la maison, et se retirent pleins de confusion dans une hôtellerie. Le lendemain ils aperçoivent leur hôte, lui racontent leur aventure, se plaignent et l’accusent. Il répond que c’est la ressemblance des lieux qui les a trompés, qu’ils ont pris une rue pour l’autre ; qu’il s’est rendu malade à les attendre une grande partie de la nuit. Dans l’intervalle, il a chargé Sannion de réunir de la vaisselle, des tapis, des esclaves. L’esclave qui ne manque pas d’intelligence, s’est vite et bien acquitté de la commission. Notre faux riche conduit les étrangers chez lui ; il leur dit qu’il a prêté son palais à un de ses amis pour y célébrer des noces. Son esclave l’avertit qu’on réclame l’argenterie. Celui qui l’avait prêtée n’était pas tranquille. Comment, s’écrie celui-ci, je lui ai prêté ma maison, mes esclaves, et il veut encore ma vaisselle ? Eh bien ! quoique je reçoive moi-même, qu’il l’emporte : la vaisselle de Samos nous suffira. Pourquoi vous raconter ce qu’il fait ensuite ? Un homme de ce caractère fait chaque jour tant de choses par ostentation et par vanité, qu’une année suffirait à peine pour les redire. » Ces éthopées qui décrivent les traits distinctifs de chaque caractère, répandent un grand charme dans le discours. On peut mettre aussi sous les yeux toutes les natures particulières : celle du glorieux, comme nous venons de le faire ; celle de l’envieux, du lâche, de l’avare, de l’ambitieux, de l’amoureux, du débauché, du fripon, du délateur. Cette figure peut mettre en évidence la passion dominante de chacun.

LII. Le Dialogisme est une figure par laquelle on met dans la bouche d’une personne un discours convenable à sa situation. Par exemple : « Lorsque la ville regorgeait de soldats, et que tous les habitants saisis de crainte se tenaient cachés dans leurs maisons, cet homme paraît en habit de guerre, l’épée au côté, le javelot à la main. Cinq jeunes gens armés comme lui marchent à sa suite. Il se précipite dans la maison, et s’écrie d’une voix formidable : Où est l’heureux mortel, maître de ces lieux ? Que ne se présente-t-il à l’instant devant moi ? d’où vient ce silence ? Tout le monde est muet de frayeur ; seule, l’épouse de cet infortuné, baignée de larmes, se jette aux pieds du vainqueur : Épargnez-nous, lui dit-elle ; au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, prenez pitié de nous ; ne frappez pas des gens à demi morts ; soyez compatissant dans la for-