Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/572

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peut bien parler sans parler avec atticisme. Mais revenons encore une fois à Hortensius.

LXXXV. — Volontiers, dit Brutus, quoique j’aie pris beaucoup de plaisir à entendre votre digression. — Et moi, interrompit Atticus, tenté plusieurs fois de vous interrompre, je n’ai pas voulu le faire ; maintenant que votre discours me paraît approcher de sa conclusion, je vous dirai franchement ce que je pense. — Parlez, Atticus. — J’admire, dit-il, l’ironie qu’on attribue à Socrate, et dont il fait usage dans les livres de Platon, de Xénophon et d’Eschine : elle me paraît pleine de goût et de finesse. C’est, en effet, une manière adroite et agréable à la fois, lorsqu’on discute sur la sagesse, de se la refuser à soi-même, et de l’attribuer ironiquement à ceux qui s’imaginent la posséder : ainsi, dans Platon, Socrate élève jusqu’au ciel Protagoras, Hippias, Prodicus, Gorgias et les autres, et se présente lui-même comme un homme étranger a toutes les connaissances. Cette plaisanterie a je ne sais quelle grâce dans sa bouche, et je ne suis pas de l’avis d’Épicure qui la blâme. Mais dans un entretien dont le but, tout historique, est d’exposer le caractère de chaque orateur, prenez garde que l’ironie ne soit aussi répréhensible que dans les paroles d’un témoin qui dépose. — Où tendent ces réflexions, lui dis-je ? je ne le comprends pas. — C’est, reprit-il, que vous avez loué certains orateurs de manière à tromper un auditeur peu éclairé. En vérité, j’avais peine à m’empêcher de rire, quand vous compariez notre Caton à l’Athénien Lysias. Sans doute Caton est un grand homme, ou plutôt c’est un homme hors de pair, un homme unique ; personne ne dira le contraire : mais un orateur ! et un orateur comparable à Lysias, dont le style est ce qu’on peut voir de plus achevé ! l’ironie serait de bon goût si nous plaisantions ; mais si nous parlons sérieusement, prenez-y garde : peut-être devrions-nous mettre dans nos discours autant de conscience que si nous déposions en justice. Oui, j’estime votre Caton comme citoyen, comme sénateur, comme général, comme un homme enfin qui excellait en prudence, en activité, en toute espèce de vertu. Quant à ses discours, je les trouve fort louables pour son temps ; ils annoncent du génie : toutefois c’est le génie sous une forme brute, et que l’art n’a pas encore polie. Mais quand vous disiez que ses Origines sont remplies de toutes les beautés oratoires, quand vous mettiez Caton à côté de Philite et de Thucydide, est-ce Brutus ou moi que vous croyiez persuader ? Eh quoi ! des modèles, inimitables même aux Grecs, vous leur comparez un habitant de Tuscuium, qui n’avait pas encore la moindre idée de ce qu’on appelle richesse et ornements du style !

LXXXVI. Vous louez Galba ; si c’est comme le premier de son temps, d’accord : la tradition le représente ainsi. Si c’est comme orateur, voyons, je vous prie, ses discours (car ils existent), et osez dire que vous souhaitez à Brutus, que vous aimez plus que vous-même, d’en faire de pareils. Vous estimez les discours de Lépidus : je pense à peu près comme vous, si c’est comme anciens que vous les estimez. J’en dis autant du second Africain, j’en dis autant de Lélius, dont le langage eut, à votre avis, ce qu’il y a de plus doux ; vous ajoutez même quelque chose de plus imposant, afin de surprendre notre admiration