Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/573

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par le nom d’un grand homme, et l’éloge mérité d’une vie pleine d’élégance et de politesse. Ôtez ces prestiges : le discours dont vous vantez la douceur pourrait bien tomber si bas qu’on ne daignerait plus y jeter les yeux.

Carbon, je le sais, fut mis au nombre des grands orateurs ; mais il en est de l’éloquence comme du reste : on loue ce qu’on a de mieux, quand ce mieux ne serait pas bien. Je pense la même chose des Gracques, quoique à certains égards je souscrive à ce que vous en avez dit. Je laisse les autres, et j’arrive à deux hommes en qui vous voyez déjà la perfection, que j’ai entendus moi-même, et qui, sans contredit, furent de grands orateurs, Crassus et Antoine. J’approuve tout ce que vous avez dit à leur louange, sans croire toutefois que le discours en faveur de la loi Servilia ait été votre modèle, dans le sens que Lysippe attache à ce mot, quand il dit que le Doryphore de Polyclète fut le sien. C’est une pure ironie : je ne vous dirai pas pourquoi je pense ainsi ; vous croiriez peut-être que je veux vous flatter. J’omets donc ce que vous avez dit de Crassus même et d’Antoine, de Cotta, de Sulpicius, et enfin de Célius. Oui, ce furent, en effet, des orateurs ; mais combien grands et de quelle espèce, c’est là-dessus que j’en appelle à vous. Pour cette autre foule que vous avez rassemblée sans omettre personne, je m’en inquiète peu : il est tel de ces artisans de paroles qui a dû être bien aise de mourir, pour être mis par vous au rang des orateurs.

LXXXVII. — Lorsque Atticus eut fini de parler : Vous venez, lui dis-je, d’entamer le sujet d’un long entretien, et d’élever une question qui mériterait une discussion toute nouvelle. Nous la remettrons à un autre temps. Il faut lire, en effet, les ouvrages des anciens, et surtout de Caton ; vous verrez qu’il ne manque rien à son dessin, si ce n’est une teinte plus brillante, et cette fleur de coloris dont on n’avait pas encore le secret. Quant au discours de Crassus, je pense que lui-même pouvait peut-être l’écrire encore mieux, mais que lui seul en était capable ; et quand je dis que cette harangue m’a servi de modèle, ne croyez pas que ce soit une ironie. Si vous avez une meilleure idée du talent que je puis avoir aujourd’hui, il n’en est pas moins vrai que dans ma jeunesse l’éloquence latine ne m’offrait rien de mieux à imiter. Si j’ai nommé un si grand nombre de personnages, je l’ai dit tout à l’heure : c’est que je voulais montrer combien, dans une carrière où tous ont ambitionné la gloire, il en est peu qui l’aient obtenue. Cessez donc de croire que je dis des contre-vérités, dût Scipion l’avoir fait, comme le prétend l’historien Fannius. — Comme vous voudrez, répondit-il : quant à moi, je ne vous croyais pas d’éloignement pour une figure qu’ont employée Scipion et Socrate. — Plus tard, dit Brutus, nous discuterons ce point ; pour vous (ajouta-t-il en me regardant), vous nous expliquerez les discours qui restent des anciens ? — Volontiers, Brutus ; mais à Cumes on à Tusculum, un jour que nous en aurons le loisir, puisque nous sommes voisins dans ces deux campagnes.

LXXXVIII. Revenons maintenant à notre sujet. Hortensius commença de très bonne heure à parler au barreau, et fut bientôt chargé des plus grandes causes. En entrant dans la carrière, il y trouva Cotta et Sulpicius, plus âgés que lui de dix ans ; Crassus et Antoine, qui brillaient de toute