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SUR CICÉRON.

plus éloquents personnages, avec les plus gens de bien qu’il y eut jamais : et connaître aussi parfaitement leur génie, leurs mœurs, leurs pensées, leurs inclinations, leur conduite, que si nous avions été leurs contemporains et leurs amis, nous qui sommes venus au monde tant de siècles après eux ? Je n’ai jamais mieux compris qu’aujourd’hui, combien Quintilien a raison, lorsqu’il dit : Que d’avoir commencé à prendre beaucoup de goût pour Cicéron, c’est être déjà bien avancé. Dans mon enfance, je l’aimais moins que Sénèque. J’avais vingt ans, que je ne pouvais pas en soutenir une lecture un peu longue. Cependant les autres auteurs me plaisaient presque tous. Je ne sais si j’ai fait du progrès en vieillissant : mais ce qu’il y a de vrai, c’est que dans le temps où les belles-lettres faisaient ma passion, je ne fus jamais plus charmé de Cicéron, que je viens de l’être. La sainteté de ce savant homme m’a ébloui, autant que la beauté de son divin style. Véritablement il m’a touché le cœur, et je m’en trouve plus vertueux. J’exhorte donc la jeunesse à bien lire ses ouvrages, et même à les apprendre par cœur. Ce sera un temps mieux employé, qu’il ne l’est à la lecture de ces misérables livrets, où l’on ne fait que s’acharner à de folles disputes, et dont aujourd’hui tout regorge de toutes parts. Pour moi, quoique la vieillesse me gagne, je ne rougirai point de me réconcilier avec mon cher Cicéron, que j’avais depuis trop longtemps abandonné ; et dès que je me serai débarrassé de ce qui m’occupe à présent, je me ferai un mérite de cultiver encore pendant quelques mois un tel ami.

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TUSCULANES.
LIVRE PREMIER.

DE LA MORT.
Qu’elle est à mépriser.

I. Quand j’ai vu enfin, qu’il n’y avait presque plus rien à faire pour moi, ni au barreau, ni au sénat, j’ai suivi vos conseils, Brutus, et me suis remis à une sorte d’étude, dont le goût m’était toujours resté, mais que d’autres soins avaient souvent ralentie, ou même interrompue longtemps. Par cette étude, j’entends la philosophie, qui est l’étude même de la sagesse, et qui renferme toutes les connaissances, tous les préceptes nécessaires à l’homme pour bien vivre. J’ai donc jugé à propos de traiter en notre langue ces importantes matières : non pas que la Grèce n’ait à nous offrir, et livres et docteurs, qui pourraient nous les enseigner : mais il m’a toujours paru, ou que nos Romains ne devaient rien qu’à leurs propres lumières, supérieures à celles des Grecs ; ou que s’ils avaient trouvé quelque chose à emprunter d’eux, ils l’avaient perfectionné. Il y a dans nos coutumes et dans nos mœurs, il y a dans la conduite de nos affaires domestiques, plus d’ordre, plus de dignité. Pour le gouvernement de l’État, nos ancêtres nous ont certainement laissé de meilleures lois. Parlerai-je de notre milice, toujours recommandable par la valeur, et plus encore par la bonne discipline ? Tout ce qui pouvait, en un mot, nous venir de la nature, sans le secours de l’étude, nous l’avons eu, mais à un tel point, que ni la Grèce, ni quelque nation que ce puisse être, ne doit se comparer avec nous. Ou trouver, en effet, ce fonds d’honneur, cette fermeté, cette grandeur d’âme, cette probité, cette bonne foi, et pour tout dire enfin, cette vertu sans restriction, au même degré qu’on l’a vue dans nos pères ? J’avoue qu’en tout genre d’érudition les Grecs nous surpassaient. Victoire aisée, puisqu’on ne la leur disputait pas. Leurs premiers savants, ce furent des poètes, et qui sont très-anciens : car Homère et Hésiode florissaient avant la fondation de Rome, Archiloque, sous le règne de Romulus : au lieu que nous autres Romains nous n’avons su que fort tard ce que c’était que vers. La première pièce de théâtre, qui ait été jouée à Rome, le fut sous le consulat de Claudius et de Tuditanus, vers l’an de Rome cinq cent dix. Ennius naquit l’année suivante ; il a précédé Plaute et Névius.

II. Ainsi c’est bien tard que les poëtes ont été, ou connus, ou soufferts parmi nous. À la