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TUSCULANES, LIV. II.

cevoir de nouvelles semences, elle les y jette, les y fait germer ; et avec le temps il s’y trouve abondance de fruits. Remettons-nous donc à philosopher, comme nous faisions hier ; et, si bon vous semble, proposez-moi le sujet. L’a. Je trouve que la douleur est de tous les maux le plus grand. C. Plus grand même que le déshonneur ? L’a. Je n’ose dire cela : et j’ai honte de me voir sitôt obligé à rétracter ma proposition. C. Y persister serait bien plus honteux. Qu’y aurait-il de moins digne de vous, que de croire qu’il y ait quelque chose de pis que l’ignominie, le crime, l’infamie ?

Plutôt que de s’en voir souillé, quelles douleurs, quels tourments ne doit-on pas souffrir, braver, affronter ? L’a. Oui, c’est ainsi que je pense. Mais la douleur, pour n’être pas le plus grand des maux, ne laisse pas d’en être un. C. Voyez-vous comme déjà un petit mot d’avis ^ous a bien fait rabattre de l’idée que vous en aviez ? L’a. Il est vrai ; mais il me faut encore quelque chose de plus. C. J’y ferai mes efforts : mais l’entreprise n’est pas petite, et j’ai besoin de trouver un esprit docile. L’a. Vous serez coûtent de moi. Partout où la raison me conduira, je la suivrai, comme je fis hier.

VI. C. Premièrement donc, parlons des philosophes qui ont marqué ici de la faiblesse. Il y en a eu plusieurs, et de sectes différentes. À la tête de tous, soit pour l’ancienneté, soit pour l’autorité, est Aristippe, disciple de Socrate. Il a bien osé dire que la douleur était le souverain mal. Épicure s’est aisément prêté à cette opinion lâche et féminine. Après lui, est venu Hiéronyme le Rhodien, qui a dit que le souverain bien était de vivre sans douleur : tant il a cru la douleur un grand mal. Tous les autres, excepté Zénon, Ariston, et Pyrrhon, disent comme vous, qu’effectivement la douleur est un mal, mais qu’il y en a de plus grands. Ainsi cette opinion, que la douleur est le plus grand des maux, quoique la nature elle-même, quoique toute âme généreuse la désavoue, et qu’il n’ait fallu, pour vous la faire rejeter, que vous mettre la douleur en parallèle avec le déshonneur, est cependant une opinion enseignée depuis tant de siècles, et par des philosophes, les précepteurs du genre humain ! Avec de telles maximes, qui ne croira que ni la vertu, ni la gloire, ne méritent d’être achetées au prix de quelque douleur corporelle ? Ou plutôt, à quelle infamie se refusera-t-on, pour éviter ce qu’on croit le souverain mal ? Mais, d’ailleurs, sur ce principe, quel homme ne serait à plaindre ? Car, ou l’on souffre actuellement de vives douleurs, ou l’on a toujours à craindre qu’il n’en survienne. Personne donc dans aucun temps ne peut être heureux. Un homme parfaitement heureux selon Métrodore, c’est celui qui se porte bien, et qui a certitude qu’il se portera toujours bien. Mais cette certitude, quelqu’un peut-il l’avoir ?

VII. Quant à Épicure, je crois qu’il a voulu plaisanter. Qu’un sage soit au milieu des flammes, ou sur la roue, dit-il quelque part ; et peut-être vous attendez-vous qu’il ajoute : il le prendra en patience, ne succombera point à ses douleurs. Par Hercule, ce serait beaucoup, et l’on ne demanderait rien de plus à cet Hercule même, par qui je viens de jurer. Mais pour Epicure, ce grand ennemi de la mollesse, cet homme si austère, ce n’est point assez. Jusque dans le taureau