Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/667

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
659
TUSCULANES, LIV. II.

Le fier, le magnanime Alcide,
Que nul affreux danger ne fit jamais frémir ?
IX. Témoin du tourment qui me tue,
Viens, approche, mon fils : sur mon corps déchiré,
Vois l’effet du venin dont je suis dévoré.
Voyez tous, par quels maux ma constance abattue
Cède au funeste sort ([ue l’on m’a préparé.
Et toi, père des Dieux, lançant sur moi ta foudre,
Achève, par pitié, de me réduire en poudre.
Ah ! je sens de mon mal, de mon feu dévorant,
Que dans cet instant même un accès me reprend.
Quelle cuisante ardeur ! quelles pointes aiguës !
Ohl qu’Hercule aujourd’hui d’Hercule est différent !
Mes forces, ma vigueur, qu’étes-vous devenues’
Est-ce par vous que j’ai dompté
Le lion, terreur de Némée,
Que j’ai défait Nessus, monstre si redouté ?
Abattu l’hydre enfin, tant de fois ranimée ?
lisl-ce par vous que j’ai tiré
Des portes de l’enfer le chien à triple tête ?
Que j’ai d’Erymanthe atterré
A mes pieds l’effroyable bête ?
Que j’ai percé le liane du dragon furieux,
Qui dis lilles d’Hesper gardait l’or précieux ?
Hélas ! à quoi me sert qu’on chante
Mon nom si grand, si glorieux ?
Ilfclas ! à quoi me sert qu’on vante
Mon bras toujours victorieux ?


Pouvons-nous après cela mépriser la douleur, nous, dis-je, quand nous voyons Hercule même souffrir avec si peu de fermeté ?

X. Autre exemple, tiré d’Eschyle, non-seulement poète, mais, à ce qu’on dit, pythagoricien. Quels sentiments met-il dans la bouche de Prométhée, souffrant pour son larcin de Lemnos ?

Quand à l’insu des Dieux, sa téméraire main
Par un art pour lui trop funeste ;
Dans la boutique de Vulcain
Sut dérober le feu céleste,
Dont il fit part au genre humain,

Jupiter, pour l’en punir, l’attacha sur le mont Caucase ; et c’est dans cette situation, que Prométhée tient ce discours.

Titans, race du ciel, à ce triste rocher
Venez contempler votre frère.
Qu’ici de Jupiter attache la colère ;
Ainsi que l’on voit un nocher.
De nuit, dans la peur de l’orage,
Attacher sa barque au rivage.
Trop ingénieux pour mon mal,
Vulcain, par l’ordre de son père,
Est venu me clouer sur ce mont infernal,
Où de trois en trois jours une aigle meurtrière,
Avide de mou sang, vient d’un bec inhumain
Me déchirer le cœur pour repaître sa faim,
El ne donne à ce cœur le loisir de renaître,
Que pour recommencer toujours à s’en repaître.
Je voudrais écarter en vain
L’impitoyable oiseau, ministre de mes peines :
Mes bras sont arrêtes par d’invisibles chaînes.
Tel est de Jupiter le décret souverain.
En proie à la douleur, pour la mort je soupire ;
Mais n’obtenant pas même un instant de sommeil.
Je sens fondre mon corps goutte à goutte au soleil,
Et n’expirant jamais, à tout moment j’expire.

XI. On ne saurait donc, ce semble, ne pas croire misérable un homme réduit à cette extrémité : ni, par conséquent, ne pas regarder la douleur comme un mal. L’a. Jusqu’ici vous plaidez ma cause. J’y reviendrai dans un mo-