Aller au contenu

Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/668

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
660
CICÉRON.

ment. Mais en attendant, voilà des vers que je ne connais point : dites-m’en, je vous prie, l’auteur. C. Je vous le dirai. Vous n’avez pas tort de ne les pas connaître. J’ai, comme vous voyez, un grand loisir. L’a. Hé bien ? C. Quand vous étiez à Athènes, vous alliez souvent, je crois, aux écoles des philosophes. L’a. Oui, et avec plaisir. C. Quoique pas un alors ne se piquât d’éloquence, vous aurez remarqué, sans doute, que leurs discours étaient mêlés de vers. L’a. Particulièrement ceux de Denys le stoïcien. C. Oui, mais sans choix, et sans grâce ; ou eût dit qu’il récitait une leçon : au lieu que notre Philon choisissait de beaux vers, les plaçait bien, et en faisait sentir la cadence. Ainsi, depuis que j’ai pris goût aux conférences philosophiques, non-seulement je fais grand usage de nos poètes, mais, à leur défaut, j’ai traduit exprès divers passages des Grecs, afin que ces sortes d’entretiens ne fussent dépourvus, en notre langue, d’aucun des ornements dont ils étaient susceptibles. Remarquez-vous, au reste, combien les poètes sont pernicieux ? Voilà les plus grands courages qu’il y eût jamais, et ils nous les donnent pour des lâches, qui se lamentaient de la manière la plus faible. Par là ils nous amollissent l’âme. Tel est cependant le charme des vers, que non-seulement on les lit, mais on les retient. Aux mauvais principes de l’éducation domestique, et à la délicatesse d’une vie oisive, ajoutez le commerce des poètes, et il n’y aura vertu qui n’en soit énervée. Platon avait donc bien raison (Je ne vouloir point d’eux dans sa République, bâtie sur le plan qu’il jugeait le plus convenable aux mœurs, et au bon ordre. Pour nous, qui nous formons d’après les Grecs, dès l’enfance nous étudions les poètes ; et c’est un genre d’érudition, dont les personnes bien nées se font honneur.

XII. Mais pourquoi nous mettre ici en colère contre les poètes, puisque des philosophes même, qui sont chargés d’enseigner la vertu, ont prétendu que la douleur était le souverain mal ?.Vous qui d’abord étiez de ce sentiment, vous l’avez, tout jeune que vous êtes, abandonné, du moment que je vous ai mis la douleur en parallèle avec l’ignominie. Mais que je tienne le même discours a Kpieure : il répondra qu’une douleur médiocre l’emporte sur l’ignominie la plus marquée ; parce que l’ignominie, à son avis, n’est point d’elle-même un mal, à moins qu’elle n’occasionne de la douleur. Hé ! quelle douleur éprouve-t-il donc, je vous prie, pour avoir avancé une semblable proposition, qui est, selon moi, la plus grande ignominie dont un philosophe puisse jamais être couvert ? Vous m’avez dit qu’en matière de maux, l’ignominie est pire que la douleur. Je n’en veux pas davantage. Avec ce seul principe, vous comprendrez jusqu’à quel point il faut braver la douleur : et il s’agit bien plus ici de nous armer contre elle, que d’examiner si c’est un mal, ou non. Parmi les Stoïciens, on a recours à de petites subtilités, pour prouver que ce n’est pas un mal : comme s’il était question du mot, et non de la chose. Zénon, pourquoi me tromper ? Vous m’assurez que ce qui me paraît horrible, n’est point un mal : et moi, curieux de savoir par quelle raison, je vous le demande. « Parce que rien, dites-vous, n’est un mal, que ce qui déshonore, que ce qui est un crime. " Réponse pitoyable, et qui ne fuit pas que je ne souffre point. Je sais que la douleur n’est pas un crime : cessez de vouloir me l’apprendre : mais prouvez-moi qu’il m’est indifférent, ou de souffrir, ou