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TUSCULANES, LIV. II.

de ne souffrir pas. « Très-indifférent, ajoute Zénon, par rapport à la vraie félicité, qui consiste uniquement dans la vertu. Mais ou fera bien cependant d’écarter la douleur. — Pourquoi ? — Parce que c’est une chose triste, dure, fâcheuse, contre nature, difficile à supporter.

XIII. Amas de paroles, pour ne signifier que ce qu’en un seul mot nous nommons un mal. Appeler la douleur une chose triste, contre nature, à peine supportable, c’est me la définir, et dire vrai : mais ce n’est pas m’en délivrer. Toutes ces grandes et orgueilleuses maximes, « Qu’il n’y a de vrai bien, que ce qui est honnête ; de vrai mal, que ce qui est honteux, » échouent ici : et c’est supposer, non ce qui est réellement, mais ce qu’on voudrait qui fût. Je trouve bien plus raisonnable d’avouer, Qu’il faut mettre au rang des maux tout ce qu’abhorre la nature ; et au rang des biens tout ce qu’elle désire. » Partons de la, et mettant à part toute dispute de mots, reconnaissons qu’entre cette espèce de bien, qui est le digne objet des Stoïciens, et que nous appelons l’honnête, le juste, le convenable, ou, en un mot, la vertu : reconnaissons, dis-je, qu’entre cette espèce de bien, et les biens qui regardent le corps, ou qui dépendent de la fortune, il y a cette différence, que les derniers, au prix de l’autre, doivent paraître infiniment petits ; et si petits, que tous les maux du corps, fussent-ils confondus ensemble, ne seraient pas équivalents à cette autre espèce de mal, qui résulte d’une action honteuse. Puisque l’ignominie est donc, et de votre aveu, quelque chose de pis que la douleur, il s’ensuit que la douleur n’est à compter pour rien. Car tant que vous regarderez comme honteux pour un homme, de gémir, de crier, de se lamenter, de se laisser accabler par la douleur : il ne faudra que vous respecter vous-même, que consulter l’honneur, la bienséance ; et sûrement a l’aide de vos réflexions, la vertu sera victorieuse de la douleur. Ou la vertu n’est rien de réel, ou la douleur ne mérite que du mépris, admettez-vous la prudence, sans quoi nulle idée de vertu ne subsiste ? Hé quoi ! vous conseillera-t-elle des faiblesses, qui ne peuvent être bonnes à rien" ? Quoi ! la modération vous permettra-t-elle des emportements ? Quoi ! la justice sera-t-elle bien observée par un homme, qui, plutôt que de souffrir, aimera mieux révéler un secret, trahir ses confidents, renoncer à ses devoirs ? Quant à la force, et à ses compagnes la grandeur d’âme, la gravité, la patience, le mépris des choses humaines ; que deviendront-elles ? Pendant que vous êtes consterné, et que tout retentit de vos cris plaintifs, dira-t-on de vous, « Ô l’homme courageux ! » Pas même, que vous soyez un homme. Vous n’avez point de courage, si vous ne faites taire la douleur.

XIV. Or savez-vous qu’il n’en est pas des vertus, comme de vos bijoux ? Que vous en perdiez un, les autres vous restent. Mais si vous perdez une seule des vertus, ou, pour parler plus juste, (car la vertu est inamissible) si vous avouez qu’il vous en manque une seule, sachez qu’elles vous manquent toutes. Vous regarderez-vous donc, ou plutôt, afin que ceci ne tombe pas sur vous personnellement, regarderez-vous ce Prométhée, ou ce Philoctète dont nous parlions, comme des personnages courageux, magnanimes, patients, graves, pleins de mépris pour les choses humaines ? Un tel éloge ne convient pas à un homme, qui, couché dans une caverne,