Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/540

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ont eu affaire à moi m ont-ils toujours trouvé prêt et dispos. Mais j’ai moins de forces que l’un ou l’autre de vous. Et vous, avez-vous la force du centurion T. Pontius ? et valez-vous pour cela moins que lui ? Modérons nos forces ; que chacun n’entreprenne que ce dont il est capable ; et personne ne regrettera beaucoup la vigueur qu’il n’a pas. On dit qu’aux jeux olympiques Milon parcourut le stade en portant sur ses épaules un bœuf vivant : aimeriez-vous donc mieux avoir cette vigueur corporelle que la force d’esprit de Pythagore ? Enfin la sagesse dit qu’il faut user de ses forces quand on les a, et ne point les regretter quand on ne les a plus, à moins qu’il ne soit raisonnable au jeune homme de regretter l’enfance, et à l’homme mûr de pleurer la perte de la jeunesse. Le cours de notre vie est réglé ; elle suit invariablement une route naturelle et partout la même. Chaque saison de la vie a son caractère particulier ; la nature a donne la faiblesse ù l’enfance, la fierté aux jeunes gens, la gravité à l’âge viril, la maturité à la vieillesse ; chaque époque nous offre des fruits à cueillir, et qui ne viennent qu’en leur temps. Vous savez sans doute, Scipion, ce que l’hôte de votre famille, Massinissa, fait encore tous les jours, malgré ses quatre-vingt-dix ans : lorsqu’il commence une route à pied, il la termine sans monter un seul moment à cheval ; lorsqu’il part à cheval, il ne met jamais pied à terre ; quelque temps qu’il fasse, pluie ou bise, il va toujours tête découverte ; il a le corps le plus dispos du monde ; aussi remplit-il avec une exactitude scrupuleuse tous les devoirs de la royauté. L’exercice et la tempérance peuvent donc conserver au vieillard quelque chose de la vigueur du jeune homme.

XI. La vieillesse n’a plus de forces ? — Mais on ne lui demande pas d’en avoir. Ni les lois ni les mœurs n’imposent à notre âge des fonctions qui ne puissent s’accomplir sans vigueur corporelle ; bien loin d’exiger de nous l’impossible, on ne nous demande pas même tout ce que nous pouvons. Mais il y a une foule de vieillards tellement impuissants qu’ils ne pourraient vaquer à aucun emploi, et qui ne sont, dans toute la force du terme, propres à rien. — Cette impuissance n’est pas particulière à la vieillesse, elle est partout attachée à la mauvaise santé. Les forces n’ont-elles pas toujours manqué au fils de P. l’Africain, qui devint votre père adoptif ? N’avait-il pas une santé continuellement chancelante ? ou, pour mieux dire, il n’avait point de santé. Sans cette dure infirmité, il eût été comme son père la gloire de Rome ; car il joignait à la grandeur d’âme paternelle un esprit plus cultivé. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que les vieillards soient quelquefois arrêtée par leur santé débile, quand on voit les jeunes gens eux-mêmes subir cette dure nécessité ? Il faut lutter contre la vieillesse, Lélius et Scipion ; il faut disputer le terrain à la décrépitude et combattre l’envahissement de ce mal, comme on combat toute autre maladie. Nous devons, nous autres vieillards, donner des soins à notre santé, faire quelques exercices modérés, manger et boire avec discrétion, réparer nos forces, mais non les étouffer. Et ce n’est pas à la santé du corps que nous devons veiller seulement, mais aussi et surtout à celle de l’esprit et de l’âme ; car il en est de la vie de l’esprit comme de la flamme d’une lampe : il