livre, où l’on assure qu’il a rassemblé de courtes maximes comme des oracles de sagesse, il dit ces propres paroles que vous connaissez assurément, Torquatus ; car qui est celui d’entre vous qui n’a pas appris par cœur les Maximes fondamentales d’Épicure, ces graves sentences où il a compris, en peu de mots, ce qui fait le bonheur ? Ma traduction est-elle fidèle ? écoutez-moi :
« Si les choses qui donnent de la volupté, dit-il, délivraient de la crainte des dieux, et de celle de la mort et de la douleur, et qu’elles apprissent à mettre des bornes aux cupidités, je n’aurais aucun motif de blâmer les voluptueux, qui, environnés de plaisirs, seraient sans douleur et sans chagrin, c’est-à-dire sans aucun mal[1]. »
Ici Triarius ne put se contenir ; mais, se tournant vers Torquatus : — Cela est-il dans Épicure ? lui dit-il. — Et il me parut qu’il parlait de la sorte, non pas qu’il ne le sût bien, mais pour le faire avouer à Torquatus. Mais lui, sans s’embarrasser et avec confiance : — Oui, dit-il, ce sont les propres paroles d’Épicure ; mais vous n’entendez pas sa pensée. — S’il dit une chose, repris-je alors, et qu’il en pense une autre, c’est une raison pour que je ne sache pas ce qu’il pense ; mais ce n’en est pas une pour que je n’entende pas ce qu’il dit ; et lorsqu’il prétend que les voluptueux ne sont pas à blâmer, pourvu qu’ils soient sages, il dit une absurdité[2], comme s’il disait que les parricides ne sont pas à blâmer, pourvu qu’ils ne se laissent point aller à leurs cupidités, et qu’ils ne craignent ni les dieux, ni la mort, ni la douleur[3]. Mais pourquoi ces réserves en faveur des voluptueux, et pourquoi supposer des gens qui, vivant voluptueusement, trouveraient grâce devant un si grand philosophe, pourvu qu’ils fussent en garde sur tout le reste ? Vous-même, Epicure, pourriez-vous vous empêcher
- ↑ V. les Extraits d’Epicure.
- ↑ Il essaie plutôt une réfutation par l’absurde. La pensée d’Épicure revient à celle-ci : les voluptueux ne seraient pas blâmables s’ils possédaient ce qui précisément est incompatible avec leurs voluptés : ils ne peuvent le posséder, ils sont donc blâmables.
- ↑ C’est ce que ne se feront pas faute de dire, avec Bentham, les utilitaires modernes. (V. les Extraits et Documents). “ Je ne blâmerais pas, s’écrie Bentham, le plus odieux auteur du plus horrible des crimes, si la somme de ses plaisirs devait jamais surpasser celle de ses peines : mais cela n’est pas. ” (Introduction to the Principles of morals, i).