Mais il ne voit pas que ce serait alors un grand argument contre lui que cette volupté, sans laquelle il n’y a, dit-il, aucun bonheur, et qu’il place dans les jouissances du goût, de l’ouïe, et dans d’autres sensations qu’on ne pourrait exprimer sans blesser la décence ; il ne voit pas, ce philosophe grave et sévère, que ce bien, le seul qu’il connaisse, n’est pas même désirable, puisque, selon lui, nous n’avons pas besoin de cette sorte de plaisir, lorsque nous n’éprouvons pas de douleur[1]. Quelle contradiction[2] !
S’il avait appris à définir et à diviser, s’il savait la force et l’usage des termes, il ne serait jamais tombé dans ces difficultés. Mais vous voyez ce qu’il fait ; il appelle volupté ce que jamais personne n’a appelé de la sorte, je veux dire l’impassibilité ; et ce que tout le monde appelle volupté, et qui est très-différent de l’impassibilité, il veut que ce ne soit qu’une même chose. Quelquefois il semble faire si peu de cas de ces plaisirs qu’il nomme volupté en mouvement, qu’à l’entendre parler on le prendrait pour un vrai Curius[3] ; et quelquefois il les loue jusqu’à dire qu’il ne comprend pas qu’il puisse y avoir d’autre bien. Un tel langage aurait plutôt besoin d’être réprimé par un censeur que d’être réfuté par un philosophe :
- ↑ Sans doute, une fois qu’on est sans douleur, on n’a plus rien à désirer, selon Épicure, parce que l’absence de douleur est le plaisir suprême ; mais on peut du moins désirer d’être sans douleur, on peut désirer de n’avoir plus rien à désirer.
- ↑ Ce n’est pas une contradiction aussi grossière que le dit Cicéron. V. notre Histoire de la morale utilitaire, t. I.
- ↑ Curius, le vainqueur des Samnites. Les ambassadeurs des Samnites étant venus le trouver au moment où il faisait rôtir des raves pour son souper, et le pressant d’accepter un présent, il leur répondit : “ J’aime mieux commander aux riches que d’être riche. ”