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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/157

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LE BONHEUR ET LA MÉMOIRE DES PLAISIRS D'APRÉS ÉPICURE.

Mais pour revenir à notre sujet (car nous parlions de la douleur, quand nous en avons été détournés par la lettre d'Épicure), voici, je crois, le raisonnement qu'on peut faire. Celui qui est dans le plus grand des maux, ne peut pas, tant qu'il y est, être heureux. Or le sage est toujours heureux, et il est pourtant quelquefois dans la douleur. Donc la douleur n'est pas le plus grand des maux. Qu'est-ce enfin que cette pensée : “ Les voluptés passées ne sont jamais écoulées pour le sage ; et à l'égard des maux, il faut ne s'en pas ressouvenir ? ” Est-ce donc qu'il dépend de nous de nous souvenir ou non ? Thémistocle répondit un jour à Simonide ou à quelque autre qui lui promettait de lui apprendre l'art de la mémoire : “ J'aimerais mieux l'art de l'oubli ; car je me ressouviens malgré moi de ce que je ne veux pas, et je ne puis oublier ce que je voudrais. ”

La réponse de Thémistocle est ingénieuse ; et au fond le souvenir et l'oubli dépendent si peu de nous, que c'est exercer trop d'empire pour un philosophe que de défendre de se souvenir. Voilà un ordre qui rappelle ceux de votre Manlius, ou quelque chose de plus dur encore : puis-je faire l'impossible ? Mais n'y a-t-il pas quelque douceur dans le souvenir des maux passés ? Nos proverbes sont bien plus véritables que ses dogmes ; car on dit ordinairement : “ les peines passées sont agréables. ” Euripide dit fort bien dans un vers qui