Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/158

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est connu de tout le monde, et que je rendrai, si je puis :

Il est doux de songer aux maux qu'on a soufferts.

Quant au souvenir des plaisirs qu'on a eus, si vous entendiez parler de plaisirs tels que ceux qui pouvaient consoler Marius banni, dénué de tout, et caché dans un marais, c'est-à-dire le souvenir de ses trophées, je serais de votre sentiment ; car la vie d'un homme sage ne pourrait être parfaitement heureuse jusqu'à la fin, s'il venait à perdre entièrement la mémoire de tout ce qu'il a fait de louable.

Mais vous, vous ne placez le bonheur que dans le souvenir des voluptés, et des voluptés corporelles : car si vous en admettiez d'autres, il serait faux de soutenir que le corps a toujours part à tous les plaisirs de l'esprit. Que si une volupté corporelle fait encore plaisir quand elle est passée, je ne comprends pas pourquoi Aristote se moque si fort de l'inscription où Sardanapale se vante d'avoir emporté toutes les voluptés avec lui dans le tombeau. Comment, dit-il, a-t-il pu sentir après la mort des plaisirs que même durant sa vie il n'a pu sentir que dans le moment qu'il en jouissait ? Les voluptés du corps sont donc passagères et s'envolent dans un instant ; et souvent, comme il ajoute, elles laissent plutôt de quoi s'en repentir que de quoi s'en souvenir agréablement. Scipion l'Africain était bien autrement heureux lorsque, après avoir dit à sa patrie :

Cessez, Rome, cessez…,

et le reste qui est admirable, il ajoute :

De mes travaux guerriers votre gloire est le fruit.

Il fait sa joie des travaux qu'il a soufferts : vous voulez, vous, que le souvenir des voluptés fasse la nôtre. Il rappelle dans son esprit des choses qui n'ont aucune relation aux voluptés du corps : le corps est tout pour vous.