Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/239

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de trouver aussi dans mon poëme des songes lugubres, capables de troubler tout le système de ta vie et d’empoisonner ton bonheur par la crainte. Et Lu aurais raison : car, si l’homme voyait un terme fixé à ses maux, il aurait au moins quelque ressource contre les menaces de la superstition et des poëtes. Mais il n’a aucun moyen pour se défendre, aujourd’hui qu’il a des peines éternelles à redouter après la mort. Car il ignore quelle est la nature de son âme.

III
RIEN NE SORT DU NÉANT ET RIEN N’Y RENTRE.

Pour dissiper les terreurs de la superstition et les ténèbres de l’ignorance, il est besoin, non des rayons du soleil et de la lumière du jour, mais de l’étude réfléchie de la nature.

Le premier principe qu’elle nous enseigne est celui-ci : la Divinité même ne peut tirer l’être du néant. En effet, la crainte subjugue tellement les cœurs des mortels, qu’à la vue des phénomènes du ciel et de la terre, dont ils ne pouvaient pénétrer les causes, ils ont imaginé des dieux créateurs. Quand nous nous serons assurés que rien ne se fait de rien, nous distinguerons plus aisément le but où nous tendons, la source d’où sortent les êtres, et la manière dont chaque chose peut se former sans le secours des dieux.

Si quelque chose s’engendrait de rien, les êtres de toute espèce pourraient naître indifféremment de toute sorte de corps, sans avoir besoin de germes particuliers. L’homme pourrait naître dans les ondes, les poissons et les oiseaux se former dans la terre, les troupeaux s’élancer des nues. Car, s’il n’y a point de germes, dès lors plus d’ordre ni d’uniformité dans les générations. Mais comme toutes les productions de la nature viennent de semences déterminées, elles ne naissent et ne se montrent qu’à l’endroit où se trouvent la matière et les éléments qui leur conviennent. Et c’est pour cette raison que tout ne peut pas provenir de tout ; cette énergie vitale diffère selon les principes,

Et, en effet, pourquoi voyez-vous la rose naître au printemps, les moissons jaunir en été, la vigne mûrir dans les beaux jours de l’automne, sinon parce que, dans le temps fixé, les semences se rassemblent, les productions se déve-