Les besoins du corps sont bornés : peu de choses suffisent pour le garantir de la douleur et lui procurer un grand nombre de sensations agréables ; la nature n’en demande pas davantage. Si vos festins nocturnes ne sont point éclairés par des flambeaux que soutiennent de magnifiques statues, si l’or et l’argent ne brillent point dans vos palais, si le son de la lyre ne retentit point pour vous sous des lambris décorés d’or et d’argent, vous pouvez du moins vous étendre sur un épais gazon, près d’une eau courante, à l’ombre d’un grand arbre, goûter à peu de frais de grands plaisirs, surtout dans la riante saison, quand le printemps sème à pleines mains les fleurs sur la verdure. La fièvre brûlante ne quitte pas plus promptement le riche étendu sur la pourpre et la broderie, que le plébéien couché sur la bure.
Si la fortune, la naissance et le trône même ne contribuent point au bonheur du corps, croyez qu’ils n’assurent point à l’âme un sort plus heureux. Quand lu vois tes nombreuses légions se déployer dans la plaine et faire voler leurs étendards, ou la mer écumer sous le nombre de tes vaisseaux, la superstition est-elle effrayée de cet appareil, et les terreurs de la mort laissent-elles ton cœur en paix ?
Vaine et ridicule illusion ! Le cliquetis des armes n’en impose point aux soucis rongeurs ; ils se présentent fièrement à la cour des rois, ils s’asseyent près des maîtres du monde, sans respect pour l’éclat de la pourpre ni l’or du diadème. Peut-on douter que ces vaines terreurs ne soient les fruits de l’ignorance et des ténèbres où nous vivons plongés ?
Les enfants s’alarment de tout et tremblent pendant la nuit ; et nous, en plein jour, nous sommes parfois les jouets de craintes aussi frivoles que les fantômes enfantés par l’obscurité et la crainte. Pour calmer ces terreurs, pour dissiper ces ténèbres, il n’est besoin ni des rayons du soleil, ni de la lumière du jour, mais de l’étude réfléchie de la nature[1].
Apprends maintenant, ô Memmius ! par quel mouvement les éléments de la matière forment et détruisent les corps,
- ↑ Lucrèce, l. II, init. (trad. Lagrange, revue par M. Blanchet).