Enfin, les flammes ardentes et les glaces de l’hiver piquent nos organes avec des aiguillons d’une structure différente, c’est ce que nous montre le tact : le tact, ô dieux ! ce sens du corps entier, qui se manifeste soit quand un objet étranger y pénètre, soit quand une cause intérieure en dérange l’organisation, ou lorsque enfin le choc, en troublant l’harmonie des principes, y porte la douleur avec la confusion. Tu en feras l’expérience à chaque instant, en frappant de la main quelque partie de ton corps. On n’explique donc les différentes impressions des objets que par les différentes figures de leurs éléments.
A cette vérité joignons-en une autre qui y est lice, et dont elle est la preuve. Comme les figures des atomes sont limitées, il est nécessaire que leur nombre soit infini dans chaque classe de figures : c’est une conséquence naturelle des principes déjà établis ; sans cela l’univers serait borné, et nous avons réfuté cette erreur.
Quand même je t’accorderais qu’il y eût dans la nature un corps unique, dont le semblable n’existât pas dans le reste du monde, néanmoins, si les atomes destinés à le former ne sont infinis en nombre, jamais cet individu privilégié ne pourra ni être produit pi s’accroitre et se nourrir.
Suppose en effet les éléments d’un corps unique finis et dispersés dans le grand tout : au milieu de cette foule, de cet océan d’atomes, comment, où, et par quelle force pourront-ils se rassembler ? Tu n’en saurais trouver le moyen. Au contraire, comme l’on voit, après une violente tempête, la vaste mer rejeter au loin des bancs, des gouvernails, des antennes, des proues, des mâts et des cordages qui vont échouer sur tous les rivages, leçon terrible pour apprendre aux mortels à fuir un élément perfide et à se défier même de son attrait au milieu du calme : de même, si tu supposes fini le nombre des éléments poussés par les flots de la matière, ils nageront dispersés pendant l’éternité : jamais ils ne se rassembleront ; jamais du moins leur assem-