croire que les éléments de la matière soient colorés, ou ce grand tout tombe dans le néant.
Enfin les atomes ne sont pas colorés, parce qu’ils ne reçoivent pas l’impression de la lumière : c’est la lumière qui produit les couleurs. Comment existeraient-elles dans les ténèbres, puisque souvent, même en plein jour, elles se changent et s’altèrent, suivant que les objets sont frappés par des rayons directs ou obliques ? Ainsi le brillant collier qui orne la gorge des colombes réfléchit tantôt les feux des rubis, tantôt le vert de l’émeraude avec l’azur du firmament. Ainsi la queue du paon, frappée d’une vive lumière, change de couleur selon ses différentes expositions. Les couleurs dépendent donc de la chute des rayons, et l’on ne conçoit pas qu’elles existent sans lumière.
D’ailleurs, en divisant les corps, tu peux remarquer que plus les parties sont atténuées, plus les couleurs s’éteignent, et elles finissent par s’évanouir : ainsi l’or réduit en poudre, et la pourpre en fils déliés, perdent tout leur éclat. L’expérience t’enseigne donc que les éléments de la matière se dépouillent de leurs couleurs ayant même d’être réduits à l’état d’atomes.
Mais ne crois pas que la couleur soit la seule qualité sensible refusée par la nature aux atomes ; ils sont encore inaccessibles au froid, au chaud, à la tiédeur, privés de sons, dénués de sucs, et incapables d’exhaler aucune odeur. Ainsi, lorsque tu composes une essence de marjolaine, de myrrhe et de nard précieux, tu lui donnes pour base l’huile la moins odorante, de peur que sa vapeur échauffée ne corrompe le parfum des fleurs.
Enfin les atomes qui entrent dans la composition des corps n’ont point d’odeur ni de son, parce qu’il n’en émane point de parties ; pour la même raison, ils ne sont ni savoureux, ni froids, ni chauds, ni tièdes : quant aux autres qualités qui causent la ruine des corps, mollesse et souplesse, fragilité et corruption, mélange de matière et de vide, garde-toi de les attribuer aux atomes, si tu veux donner à la nature des fondements inébranlables, assurer sa conservation et la sauver de l’anéantissement.