et, par ton obstination à repousser l’évidence, devenir toi- même la cause de ton aveuglement…
Comme la surface de tous les corps reçoit le contact immédiat de l’air, il est nécessaire qu’elle soit sans cesse frappée de ses coups fréquents. Voilà pourquoi presque tous les êtres sont couverts de cuir, de soie, de coquilles, d’écorces ou de membranes calleuses. Les parties intérieures sont aussi battues sans cesse par ce flux et reflux d’air que la respiration y amène et en chasse continuellement. Le corps étant ainsi heurté de deux côtés, et ce choc, à l’aide des pores, se faisant sentir jusqu’aux atomes élémentaires, la destruction se prépare ainsi peu à peu. Bientôt les principes de l’esprit et du corps se déplacent. Le sentiment s’enfuit au milieu de ce désordre. Le corps, n’ayant plus de soutien, s’affaiblit ; tous les membres languissent, les bras tombent, les paupières se ferment et les jarrets s’affaissent.
Le sommeil vient à la suite des repas, parce que les aliments, répandus dans les veines, y produisent le même effet que l’air : l’assoupissement est même plus profond quand il succède à la plénitude ou à la fatigue ; c’est que la fatigue cause plus de désordre dans les éléments.
Les objets habituels de nos occupations, ceux qui nous ont retenus le plus longtemps, et qui ont exigé le plus de contention d’esprit, sont ceux qui reparaissent le plus souvent dans nos songes. Les avocats croient plaider des causes et interpréter les lois, le général livrer des combats et des assauts, le pilote faire la guerre aux vents ; moi-même je n’interromps point mes travaux pendant la nuit ; je continue d’interroger la nature et d’en dévoiler les secrets dans la langue de ma patrie. En un mot, les autres études et les autres arts occupent ordinairement en songe les hommes par de semblables illusions.
Nous voyons souvent ceux qui assistent assidûment aux jeux plusieurs jours de suite, lors même que les spectacles ont cessé de frapper leurs sens, conserver dans leur âme des routes ouvertes par où les mêmes simulacres peuvent encore s’introduire. Les mêmes objets se présentent à eux pendant plusieurs jours : ils voient, même en veillant, les danseurs bondir, et mouvoir leurs membres avec souplesse ; ils entendent les accords de la lyre et le doux langage des cordes ; ils retrouvent la même assemblée et la même variété de