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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/300

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décorations dont brillait la scène. Tant est grand le pouvoir du penchant, du goût et de l’habitude, non-seulement sur les hommes, mais sur les animaux eux-mêmes !

En effet, on voit des chevaux, quoique étendus et profondément endormis, se baigner de sueur, souffler fréquemment, et tendre tous leurs muscles, comme si les barrières étaient déjà ouvertes, comme s’ils disputaient le prix de la course. Souvent encore, au milieu du sommeil, les chiens des chasseurs agitent tout à coup leurs pieds, jappent avec allégresse et respirent avec précipitation, comme s’ils étaient sur la trace de la proie. Souvent même, en se réveillant, ils continuent de poursuivre les vains simulacres d’un cerf qu’ils s’imaginent voir fuir devant eux, jusqu’à ce qu’ils reviennent à eux-mêmes, et que leur illusion se soit dissipée. Au contraire, les oiseaux de toute espèce prennent la fuite, et, en agitant leurs ailes, vont implorer pendant la nuit un asile dans les bois sacrés, s’ils voient au milieu d’un sommeil paisible l’épervier vorace fondre sur eux ou les poursuivre d’un vol rapide.

Et les âmes humaines, de quels grands mouvements ne sont-elles pas agitées pendant le sommeil ! Combien de vastes projets formés et exécutés en un moment ! Ce sont des rois dont on devient le maître ou l’esclave, des combats qu’on livre, des cris qu’on pousse, comme si l’on était égorgé sur la place : il en est qui se débattent, qui gémissent de douleur, qui remplissent l’air de leurs cris, comme s’ils étaient déchirés par la dent du lion ou de la panthère. Il en est qui s’entretiennent en songe des affaires les plus importantes, et qui se trahissent souvent eux-mêmes par des aveux involontaires. Beaucoup se voient conduire à la mort ; beaucoup, croyant tomber de tout leur poids dans un précipice, se réveillent avec effroi, hors d’eux-mêmes, et se remettent difficilement de leur trouble.

XLV
ÉLOGE D’ÉPICURE[1].

Quel génie peut chanter dignement un si noble sujet, de

  1. Lucrèce, De nat. rer., l. V, v. 1, sqq. (Trad. Lagrange, revue par M. Blanchet.)