Page:Claretie - Petrus Borel, le lycanthrope, 1865.djvu/85

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effarée, et l’on se jette dans mes bras et l’on me couvre la figure de caresses : tout cela m’avait fort l’air d’un bandeau de colin-maillard dont on voulait voiler mes yeux. — En entrant, un fumet de gibier bipède m’avait saisi l’olfactif. « Corbleu ! ma toute belle, quel balai faites-vous donc rissoler ? il y a ici une odeur masculine !…

— Que dis-tu, ami ? Ce n’est rien, l’air renfermé de la nuit peut-être ! Je vais ouvrir les croisées.

— Et ce cigare entamé ?… Vous fumez le cigare ?… Depuis quand faites-vous l’Espagnole ?

— Mon ami, c’est mon frère, hier soir, qui l’oublia.

— Ah ! ah ! ton frère, il est précoce, fumer au berceau. Quel libertin ! passer tour à tour du cigare à la mamelle, bravo !

— Mon frère aîné, te dis-je !

— Ah ! très-bien. Mais tu portes donc maintenant une canne à pomme d’or ? La mode est surannée !

— C’est le bâton de mon père qu’hier il oublia.

— À ce qu’il paraîtrait, toute la famille est venue ! Des bottes à la russe ! Ton pauvre père sans doute hier aussi les oublia, et s’en est retourné pieds nus ! le pauvre homme !… »

À ce dernier coup, cette noble fille se jeta à mes genoux, pleurant, baisant mes mains, et criant : « Oh ! pardonne-moi ! écoute-moi, je t’en prie ! mon bon, je te dirai tout ; ne t’emporte point !

— Je ne m’emporte point, madame, j’ai tout mon calme et mon sang-froid ; pourquoi pleurez-vous