groupes se forment ; tes uns prennent un fusil et guettent le héron cendré qui se laissera surprendre. Les autres, réunis autour de tasses de thé (les premières du voyage !), écoutent la lecture de quelques belles pages de Gobineau sur l’esprit asiatique et sur les taziehs persans.
Turtu-Kaya, une ville turque où nous abordons, minarets et mosquées, foule enturbannée, déguenillée, femmes voilées, les premières aussi, le chant du muezzin, c’est déjà un peu de l’Orient.
La nuit vient et un frisson de froid après la chaleur du jour. Les rives se glacent dans le gris du soir, les collines s’endorment, une lune incertaine passe à travers une déchirure des nuages et regarde le monde désert où nous glissons sans bruit entre les bords du fleuve sur lesquels on ne distingue plus que les silhouettes trapues des saules comme d’hommes très vieux qui nous épieraient.
12 avril. — Le même paysage d une grandeur désolée, le fleuve coule entre des rives toutes deux roumaines ; des marais, des lacs en doublent et triplent la largeur. Près des gris argentés des eaux, des troupeaux de moutons sur des pâturages font des taches brunes et chaudes.
Nous passons une demi-heure à Braila, grand port roumain d'exportation pour les blés, ville de soixante mille habitants, laide et moderne.
Galatz. — Une demi-heure plus tard nous sommes à Galatz, dernier port roumain. Ici nous embarquons sur un vapeur russe qui part pour Odessa. Nous retrouvons les autos à quai. Il faut les mettre à bord, cela n’est pas facile. Un chaland flanque le bateau à vapeur qui ne possède pas de grue assez forte pour nos machines ; un ponton mène du quai ail chaland. Les difficultés commencent ; la grande Mercédès est amenée, non sans peine, jusqu’au chaland. Du chaland on jette des madriers pour atteindre, par une pente de quarante pour cent, le pont du bateau. Georges Bibesco met le moteur en marche ; les roues patinent. Trente débardeurs et marins russes soulèvent la lourde machine qui arrive enfin au niveau du pont ; là, il faut la retenir de peur quelle n’exécute un naturel mouvement de bascule et n’aille défoncer le bastingage du côté opposé. Les deux autres