Page:Claude Debussy, Louis Laloy.pdf/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81

Mélisande, Arkhel et Golaud prendront une force de sentiment que l’écrivain, trop intéressé au détail du style, ne semblait pas avoir comprise ; par l’intervention de la musique, la chaleur de la vie leur est communiquée, la chair remplit les lignes grêles que le drame leur traçait, et, sous leurs atours de légende, nous les reconnaissons comme nos frères de cœur. Chacun d’eux est si bien pris dans son caractère qu’à nul on ne peut donner de torts : ils sont tels, et ne pouvaient accomplir d’autres actes, concevoir d’autres pensées ; le mal qu’ils se font l’un à l’autre est le fruit de leur nature : d’où la poignante émotion de l’œuvre, et sa grande pitié.

Nulle insistance n’est requise pour faire entendre d’aussi pures vérités : jamais d’élévation de voix qui provoque l’attention, de geste qui prenne à témoin. Ce sont des mouvements liés qui se succèdent et se commandent l’un l’autre par une persuasion intérieure. Ce sont les figures d’une danse sans battements, sans chocs, sans divisions, souple et fondue comme celles de l’Extrême-Orient. C’est une beauté plastique, qui se garde intacte dans les pleurs comme parmi les transports d’un rêve joyeux. C’est un rythme qui n’est plus celui des temps et des mesures : celui des lignes et des contours, dont jusque-là les sculpteurs étaient de plus fidèles adorateurs que les musiciens. C’est