Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/121

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— Rien du tout, dit Fierce sincèrement. Vous parlez de la tension diplomatique ? Je crois que ce n’est rien de sérieux, mais je n’ai pas le moindre renseignement personnel. D’ailleurs, les câbles sont anglais, et si par impossible une guerre venait à éclater, nous l’apprendrions par l’escadre ennemie chargée de nous détruire.

— Jolie situation que la vôtre, » observa le banquier.

Il réfléchit une minute et haussa les épaules :

« Peu m’importe d’ailleurs : je n’ai rien à gagner là-dedans, ni rien à perdre.

— Même en cas de guerre ?

— Parbleu ; je suis ici banquier, administrateur et fermier d’impôts. Toutes les affaires du pays passent par mes mains : que voulez-vous que la guerre me fasse ? les gouvernements peuvent se succéder, je leur serai à tous également indispensable. »

L’heure venue, ils dînèrent. Malais ne buvait que d’un champagne sec revenu pour lui d’Amérique, Fierce l’apprécia. Le vin d’ailleurs lui semblait un refuge propice contre sa présente mélancolie. Plus tard, quelques pipes d’opium achèveraient de le ramener à l’optimisme. Il se grisa légèrement.

Les boys desservirent. Sur la terrasse, Malais fit rapporter de son Champagne. Ils continuèrent à boire en fumant des cigarettes turques. Fierce admira la fumée bleue qui se débattait dans le poudroiement des lampes électriques, pareille aux nuages tournoyants d’une chevauchée de Valkyries.

— « Vous aimez à rêver ? dit Malais.